Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/536

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Grossetête avaient été mariées avant que Graslin eût été en position de les épouser, mais comme chacune de ces dames avait des filles en bas âge, on finit par laisser Graslin tranquille, imaginant que, soit le vieux Perret ou le fin Grossetête avait par avance arrangé le mariage de Graslin avec une de leurs petites-filles. Sauviat suivit plus attentivement et plus sérieusement que personne la marche ascendante de son compatriote, il l’avait connu lors de son établissement à Limoges ; mais leurs positions respectives changèrent si fort, du moins en apparence, que leur amitié, devenue superficielle, se rafraîchissait rarement. Néanmoins, en qualité de compatriote, Graslin ne dédaigna jamais de causer avec Sauviat quand par hasard ils se rencontrèrent. Tous deux ils avaient conservé leur tutoiement primitif, mais en patois d’Auvergne seulement. Quand le Receveur-général de Bourges, le plus jeune des frères Grossetête, eut marié sa fille, en 1823, au plus jeune fils du comte de Fontaine, Sauviat devina que les Grossetête ne voulaient point faire entrer Graslin dans leur famille. Après sa conférence avec le banquier, le père Sauviat revint joyeux dîner dans la chambre de sa fille, et dit à ses deux femmes : « — Véronique sera madame Graslin. — Madame Graslin ? s’écria la mère Sauviat stupéfaite. — Est-ce possible ? dit Véronique à qui la personne de Graslin était inconnue mais à l’imagination de laquelle il se produisait comme se produit un des Rothschild à celle d’une grisette de Paris. — Oui, c’est fait, dit solennellement le vieux Sauviat. Graslin meublera magnifiquement sa maison ; il aura pour notre fille la plus belle voiture de Paris et les plus beaux chevaux du Limousin, il achètera une terre de cinq cent mille francs pour elle, et lui assurera son hôtel ; enfin Véronique sera la première de Limoges, la plus riche du département, et fera ce qu’elle voudra de Graslin ! »

Son éducation, ses idées religieuses, son affection sans bornes pour son père et sa mère, son ignorance empêchèrent Véronique de concevoir une seule objection ; elle ne pensa même pas qu’on avait disposé d’elle sans elle. Le lendemain Sauviat partit pour Paris et fut absent pendant une semaine environ.

Pierre Graslin était, vous l’imaginez, peu causeur, il allait droit et promptement au fait. Chose résolue, chose exécutée. En février 1822, éclata comme un coup de foudre dans Limoges une singulière nouvelle : l’hôtel Graslin se meublait richement, des voitures de rou-