Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/539

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changer de visage dès qu’une femme commanderait dans son ménage, et aurait plus soin de lui que lui-même.

— Est-ce qu’on épouse un homme pour son visage, pays ! dit le vieux ferrailleur en donnant à son compatriote une énorme tape sur la cuisse.

— L’explication de Graslin s’adressait à ces sentiments naturels dont est plus ou moins rempli le cœur de toute femme. Véronique pensa qu’elle-même avait un visage détruit par une horrible maladie, et sa modestie chrétienne la fit revenir sur sa première impression. En entendant un sifflement dans la rue, Graslin descendit suivi de Sauviat inquiet. Tous deux remontèrent promptement. Le garçon de peine apportait un premier bouquet de fleurs, qui s’était fait attendre. Quand le banquier montra ce monceau de fleurs exotiques dont les parfums envahirent la chambre et qu’il l’offrit à sa future, Véronique éprouva des émotions bien contraires à celles que lui avait causées le premier aspect de Graslin, elle fut comme plongée dans le monde idéal et fantastique de la nature tropicale. Elle n’avait jamais vu de camélias blancs, elle n’avait jamais senti le cytise des Alpes, la citronnelle, le jasmin des Açores, les volcamérias, les roses musquées, toutes odeurs divines qui sont comme l’excitant de la tendresse, et qui chantent au cœur des hymnes de parfums. Graslin laissa Véronique en proie à cette émotion. Depuis le retour du ferrailleur, quand tout dormait dans Limoges, le banquier se coulait le long des murs jusqu’à la maison du père Sauviat. Il frappait doucement aux volets, le chien n’aboyait pas, le vieillard descendait, ouvrait à son pays, et Graslin passait une heure ou deux dans la pièce brune, auprès de Véronique. Là, Graslin trouva toujours son souper d’Auvergnat servi par la mère Sauviat. Jamais ce singulier amoureux n’arriva sans offrir à Véronique un bouquet composé des fleurs les plus rares, cueillies dans la serre de monsieur Grossetête, la seule personne de Limoges qui fût dans le secret de ce mariage. Le garçon de peine allait chercher nuitamment le bouquet que faisait le vieux Grossetête, lui-même. En deux mois, Graslin vint cinquante fois environ ; chaque fois il apporta quelque riche présent : des anneaux, une montre, une chaîne d’or, un nécessaire, etc.

Ces prodigalités incroyables, un mot les justifiera. La dot de Véronique se composait de presque toute la fortune de son père, sept cent cinquante mille francs. Le vieillard gardait une inscrip-