Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/566

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nue. La Justice n’avait trouvé sur les registres de l’Administration aucun passe-port pour ce pays au nom d’aucune femme. Au cas où la complice se fût procuré son passe-port à Paris, les registres y avaient été consultés, mais en vain, de même que dans les Préfectures environnantes. Les moindres détails des débats mirent en lumière les profondes réflexions d’une intelligence supérieure. Si les dames limousines les plus vertueuses attribuaient l’usage assez inexplicable dans la vie ordinaire d’escarpins pour aller dans la boue et dans les terres à la nécessité d’épier le vieux Pingret, les hommes les moins fats étaient enchantés d’expliquer combien les escarpins étaient utiles pour marcher dans une maison, y traverser les corridors, y monter par les croisées sans bruit. Donc, Jean-François et sa maîtresse (jeune, belle, romanesque, chacun composait un superbe portrait) avaient évidemment médité d’ajouter, par un faux, et son épouse sur le passe-port. Le soir, dans tous les salons, les parties étaient interrompues par les recherches malicieuses de ceux qui, se reportant en mars 1829, recherchaient quelles femmes alors étaient en voyage à Paris, quelles autres avaient pu faire ostensiblement ou secrètement les préparatifs d’une fuite. Limoges jouit alors de son procès Fualdès, orné d’une madame Manson inconnue. Aussi jamais ville de province ne fut-elle plus intriguée que l’était chaque soir Limoges après l’audience. On y rêvait de ce procès où tout grandissait l’accusé dont les réponses savamment repassées, étendues, commentées, soulevaient d’amples discussions. Quand un des jurés demanda pourquoi Tascheron avait pris un passeport pour l’Amérique, l’ouvrier répondit qu’il voulait y établir une manufacture de porcelaines. Ainsi, sans compromettre son système de défense, il couvrait encore sa complice, en permettant à chacun d’attribuer son crime à la nécessité d’avoir des fonds pour accomplir un ambitieux projet.

Au plus fort de ces débats, il fut impossible que les amis de Véronique, pendant une soirée où elle paraissait moins souffrante, ne cherchassent pas à expliquer la discrétion du criminel. La veille, le médecin avait ordonné une promenade à Véronique. Le matin même elle avait donc pris le bras de sa mère pour aller, en tournant la ville, jusqu’à la maison de campagne de la Sauviat, où elle s’était reposée. Elle avait essayé de rester debout à son retour et avait attendu son mari ; Graslin ne revint qu’à huit heures de la Cour d’Assises, elle venait de lui servir à dîner selon son ha-