Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/581

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de la Nature. Récemment Cooper, ce talent si mélancolique, a magnifiquement développé la poésie de ces solitudes dans la Prairie. Ces espaces oubliés par la génération botanique, et que couvrent d’infertiles débris minéraux, des cailloux roulés, des terres mortes sont des défis portés à la Civilisation. La France doit accepter la solution de ces difficultés, comme les Anglais celles offertes par l’Écosse où leur patiente, leur héroïque agriculture a changé les plus arides bruyères en fermes productives. Laissées à leur sauvage et primitif état, ces jachères sociales engendrent le découragement, la paresse, la faiblesse par défaut de nourriture, et le crime quand les besoins parlent trop haut. Ce peu de mots est l’histoire ancienne de Montégnac. Que faire dans une vaste friche négligée par l’Administration, abandonnée par la Noblesse, maudite par l’Industrie ? la guerre à la société qui méconnaît ses devoirs. Aussi les habitants de Montégnac subsistaient-ils autrefois par le vol et par l’assassinat, comme jadis les Écossais des hautes terres. À l’aspect du pays, un penseur conçoit bien comment, vingt ans auparavant, les habitants de ce village étaient en guerre avec la Société. Ce grand plateau, taillé d’un côté par la vallée de la Vienne, de l’autre par les jolis vallons de la Marche, puis par l’Auvergne, et barré par les monts corréziens, ressemble, agriculture à part, au plateau de la Beauce que sépare le bassin de la Loire du bassin de la Seine, à ceux de la Touraine et du Berry, à tant d’autres qui sont comme des facettes à la surface de la France, et assez nombreuses pour occuper les médiations des plus grands administrateurs. Il est inouï qu’on se plaigne de l’ascension constante des masses populaires vers les hauteurs sociales, et qu’un gouvernement n’y trouve pas de remède, dans un pays où la Statistique accuse plusieurs millions d’hectares en jachère dont certaines parties offrent, comme en Berry, sept ou huit pieds d’humus. Beaucoup de ces terrains, qui nourriraient des villages entiers, qui produiraient immensément, appartiennent à des Communes rétives, lesquelles refusent de les vendre aux spéculateurs pour conserver le droit d’y faire paître une centaine de vaches. Sur tous ces terrains sans destinations est écrit le mot incapacité. Toute terre a quelque fertilité spéciale. Ce n’est ni les bras, ni les volontés qui manquent, mais la conscience et le talent administratifs. En France, jusqu’à présent, ces plateaux ont été sacrifiés aux vallées, le gouvernement a donné ses secours, a porté ses soins là où les intérêts