Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/583

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piétons avaient été arrêtés au fond de cette gorge dangereuse par des voleurs dont les coups de main demeuraient impunis : le site les favorisait, ils gagnaient, par des sentiers à eux connus, les parties inaccessibles de la forêt. Un pareil pays offrait peu de prise aux investigations de la Justice. Personne n’y passait. Sans circulation, il ne saurait exister ni commerce, ni industrie, ni échange d’idées, aucune espèce de richesse : les merveilles physiques de la civilisation sont toujours le résultat d’idées primitives appliquées. La pensée est constamment le point de départ et le point d’arrivée de toute société. L’histoire de Montégnac est une preuve de cet axiome de science sociale. Quand l’administration put s’occuper des besoins urgents et matériels du pays, elle rasa cette langue de forêt, y mit un poste de gendarmerie qui accompagna la correspondance sur les deux relais ; mais, à la honte de la gendarmerie, ce fut la parole et non le glaive, le curé Bonnet et non le brigadier Chervin qui gagna cette bataille civile, en changeant le moral de la population. Ce curé, saisi pour ce pauvre pays d’une tendresse religieuse, tenta de le régénérer, et parvint à son but.

Après avoir voyagé durant une heure dans ces plaines, alternativement caillouteuses et poudreuses, où les perdrix allaient en paix par compagnies, et faisaient entendre le bruit sourd et pesant de leurs ailes en s’envolant à l’approche de la voiture, l’abbé Gabriel, comme tous les voyageurs qui ont passé par là, vit poindre avec un certain plaisir les toits du bourg. À l’entrée de Montégnac est un de ces curieux relais de poste qui ne se voient qu’en France. Son indication consiste en une planche de chêne sur laquelle un prétentieux postillon a gravé ces mots : Pauste o chevos, noircis à l’encre, et attachée par quatre clous au-dessus d’une misérable écurie sans aucun cheval. La porte, presque toujours ouverte, a pour seuil une planche enfoncée sur champ, pour garantir des inondations pluviales le sol de l’écurie, plus bas que celui du chemin. Le désolé voyageur aperçoit des harnais blancs, usés, raccommodés, près de céder au premier effort des chevaux. Les chevaux sont au labour, au pré, toujours ailleurs que dans l’écurie. Si par hasard ils sont dans l’écurie, ils mangent ; s’ils ont mangé, le postillon est chez sa tante ou chez sa cousine, il rentre des foins, ou il dort ; personne ne sait où il est, il faut attendre qu’on soit allé le chercher, il ne vient qu’après avoir fini sa besogne ; quand il est arrivé, il se passe un temps infini avant qu’il n’ait trouvé une veste,