Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/588

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tenu, paraissait devoir trembler sous le pied. Au fond, en face de la porte d’entrée, une autre porte ouverte donnant sur le jardin potager permit à l’abbé de Rastignac de mesurer le peu de largeur de ce jardin, encaissé comme par un mur de fortification taillé dans la pierre blanchâtre et friable de la montagne que tapissaient de riches espaliers, de longues treilles mal entretenues et dont toutes les feuilles étaient dévorées de lèpre. Il revint sur ses pas, se promena dans les allées du premier jardin, d’où se découvrit à ses yeux, par-dessus le village, le magnifique spectacle de la vallée, véritable oasis située au bord des vastes plaines qui, voilées par les légères brumes du matin, ressemblaient à une mer calme. En arrière, on apercevait d’un côté les vastes repoussoirs de la forêt bronzée, et de l’autre, l’église, les ruines du château perchées sur le roc, mais qui se détachaient vivement sur le bleu de l’Ether. En faisant crier sous ses pas le sable des petites allées en étoile, en rond, en losange, l’abbé Gabriel regarda tour à tour le village où les habitants réunis par groupes l’examinaient déjà, puis cette vallée fraîche avec ses chemins épineux, sa rivière bordée de saules si bien opposée à l’infini des plaines ; il fut alors saisi par des sensations qui changèrent la nature de ses idées, il admira le calme de ces lieux, il fut soumis à l’influence de cet air pur, à la paix inspirée par la révélation d’une vie ramenée vers la simplicité biblique ; il entrevit confusément les beautés de cette cure où il rentra pour en examiner les détails avec une curiosité sérieuse. Une petite fille, sans doute chargée de garder la maison, mais occupée à picorer dans le jardin, entendit, sur les grands carreaux qui dallaient les deux salles basses, les pas d’un homme chaussé de souliers craquant. Elle vint. Étonnée d’être surprise un fruit à la main, un autre entre les dents, elle ne répondit rien aux questions de ce beau, jeune, mignon abbé. La petite n’avait jamais cru qu’il put exister un abbé semblable, éclatant de linge en batiste, tiré à quatre épingles, vêtu de beau drap noir, sans une tache ni un pli.

— Monsieur Bonnet, dit-elle enfin, monsieur Bonnet dit la messe, et mademoiselle Ursule est à l’église.

L’abbé Gabriel n’avait pas vu la galerie par laquelle le presbytère communiquait à l’église, il regagna le sentier pour y entrer par la porte principale. Cette espèce de porche en auvent regardait le village, on y parvenait par des degrés en pierres disjointes et usées qui dominaient une place ravinée par les eaux et ornée de ces gros