Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/591

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du maître-autel, qui était séparé de la nef à l’endroit où pendait la lampe, par une balustrade assez grossière, toujours en bois de châtaignier, et garnie de la nappe destinée à la communion. De chaque côté de la nef, une vingtaine de paysans et de paysannes, plongés dans la prière la plus fervente, ne firent aucune attention à l’étranger quand il monta le chemin étroit qui divisait les deux rangées de bancs. Arrivé sous la lampe, endroit d’où il pouvait voir les deux petites nefs qui figuraient la croix, et dont l’une conduisait à la sacristie, l’autre au cimetière, l’abbé Gabriel aperçut du côté du cimetière une famille vêtue de noir, et agenouillée sur le carreau ; ces deux parties de l’église n’avaient pas de bancs. Le jeune abbé se prosterna sur la marche de la balustrade qui séparait le chœur de la nef, et se mit à prier, en examinant par un regard oblique ce spectacle qui lui fut bientôt expliqué.

L’évangile était dit. Le curé quitta sa chasuble et descendit de l’autel pour venir à la balustrade. Le jeune abbé, qui prévit ce mouvement, s’adossa au mur avant que monsieur Bonnet ne pût le voir. Dix heures sonnaient.

— Mes frères, dit le curé d’une voix émue, en ce moment même, un enfant de cette paroisse va payer sa dette à la justice humaine en subissant le dernier supplice, nous offrons le saint sacrifice de la messe pour le repos de son âme. Unissons nos prières afin d’obtenir de Dieu qu’il n’abandonne pas cet enfant dans ses derniers moments, et que son repentir lui mérite dans le ciel la grâce qui lui a été refusée ici-bas. La perte de ce malheureux, un de ceux sur lesquels nous avions le plus compté pour donner de bons exemples, ne peut être attribuée qu’à la méconnaissance des principes religieux…

Le curé fut interrompu par des sanglots qui partaient du groupe formé par la famille en deuil, et dans lequel le jeune prêtre, à ce surcroît d’affliction, reconnut la famille Tascheron, sans l’avoir jamais vue. D’abord étaient collés contre la muraille deux vieillards au moins septuagénaires, deux figures à rides profondes et immobiles, bistrées comme un bronze florentin. Ces deux personnages, stoïquement debout comme des statues dans leurs vieux vêtements rapetassés, devaient être le grand-père et la grand’mère du condamné. Leurs yeux rougis et vitreux semblaient pleurer du sang, leurs bras tremblaient tant, que les bâtons sur lesquels ils s’appuyaient rendaient un léger bruit sur le carreau. Après eux, le père