Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/595

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Quand Ursule eut perdu de vue l’abbé Gabriel, elle descendit pour semer cette nouvelle dans le village, en y allant chercher les choses nécessaires au déjeuner.

Le curé avait brusquement appris à l’église une résolution désespérée inspirée aux Tascheron par le rejet du pourvoi en cassation. Ces braves gens quittaient le pays, et devaient, dans cette matinée, recevoir le prix de leurs biens vendus à l’avance. La vente avait exigé des délais et des formalités imprévus par eux. Forcés de rester dans le pays depuis la condamnation de Jean-François, chaque jour avait été pour eux un calice d’amertume à boire. Ce projet accompli si mystérieusement ne transpira que la veille du jour où l’exécution devait avoir lieu. Les Tascheron crurent pouvoir quitter le pays avant cette fatale journée ; mais l’acquéreur de leurs biens était un homme étranger au canton, un Corrézien à qui leurs motifs étaient indifférents, et qui d’ailleurs avait éprouvé des retards dans la rentrée de ses fonds. Ainsi la famille était obligée de subir son malheur jusqu’au bout. Le sentiment qui dictait cette expatriation était si violent dans ces âmes simples, peu habituées à des transactions avec la conscience, que le grand-père et la grand’mère, les filles et leurs maris, le père et la mère, tout ce qui portait le nom de Tascheron ou leur était allié de près, quittait le pays. Cette émigration peinait toute la commune. Le maire était venu prier le curé d’essayer de retenir ces braves gens. Selon la loi nouvelle, le père n’est plus responsable du fils, et le crime du père n’entache plus sa famille. En harmonie avec les différentes émancipations qui ont tant affaibli la puissance paternelle, ce système a fait triompher l’individualisme qui dévore la Société moderne. Aussi le penseur aux choses d’avenir voit-il l’esprit de famille détruit, là où les rédacteurs du nouveau code ont mis le libre arbitre et l’égalité. La famille sera toujours la base des sociétés. Nécessairement temporaire, incessamment divisée, recomposée pour se dissoudre encore, sans liens entre l’avenir et le passé, la famille d’autrefois n’existe plus en France. Ceux qui ont procédé à la démolition de l’ancien édifice ont été logiques en partageant également les biens de la famille, en amoindrissant l’autorité du père, en faisant de tout enfant le chef d’une nouvelle famille, en supprimant les grandes responsabilités, mais l’État social reconstruit est-il aussi solide avec ses jeunes lois, encore sans longues épreuves, que la monarchie l’était malgré ses anciens