Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/601

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Du pain un peu bis, reprit en souriant l’abbé Gabriel.

— Le pain blanc ne convient qu’aux estomacs des riches, répondit modestement le curé.

Le jeune abbé prit alors les mains de monsieur Bonnet, et les lui serra cordialement.

— Pardonnez-moi, monsieur le curé, lui dit-il en se réconciliant avec lui tout à coup par un regard de ses beaux yeux bleus qui alla jusqu’au fond de l’âme du curé. Monseigneur m’a recommandé d’éprouver votre patience et votre modestie ; mais je ne saurais aller plus loin, je vois déjà combien vous êtes calomnié par les éloges des Libéraux.

Le déjeuner était prêt : des œufs frais, du beurre, du miel et des fruits, de la crème et du café, servis par Ursule au milieu de bouquets de fleurs sur une nappe blanche sur la table antique, dans cette vieille salle à manger. La fenêtre qui donnait sur la terrasse, était ouverte. La clématite, chargée de ses étoiles blanches relevées au cœur par le bouquet jaune de ses étamines frisées, encadrait l’appui. Un jasmin courait d’un côté, des capucines montaient de l’autre. En haut, les pampres déjà rougis d’une treille faisaient une riche bordure qu’un sculpteur n’aurait pu rendre tant le jour découpé par les dentelures des feuilles lui communiquait de grâce.

— Vous trouvez ici la vie réduite à sa plus simple expression, dit le curé en souriant sans quitter l’air que lui imprimait la tristesse qu’il avait au cœur. Si nous avions su votre arrivée, et qui pouvait en prévoir les motifs ! Ursule se serait procuré quelques truites de montagnes, il y a un torrent au milieu de la forêt qui en donne d’excellentes. Mais j’oublie que nous sommes en août et que le Gabou est à sec ! J’ai la tête bien troublée…

— Vous vous plaisez beaucoup ici ? demanda le jeune abbé.

— Oui, monsieur. Si Dieu le permet, je mourrai curé de Montégnac. J’aurais voulu que mon exemple fût suivi par des hommes distingués qui ont cru faire mieux en devenant philanthropes. La philanthropie moderne est le malheur des sociétés, les principes de la religion catholique peuvent seuls guérir les maladies qui travaillent le corps social. Au lieu de décrire la maladie et d’étendre ses ravages par des plaintes élégiaques, chacun aurait dû mettre la main à l’œuvre, entrer en simple ouvrier dans la vigne du Seigneur. Ma tâche est loin d’être achevée ici, monsieur : il ne suffit pas de