Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/603

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croyances. Plusieurs abandonnent la politique à une époque où le pouvoir semble être une expiation quand le gouverné regarde l’obéissance comme une fatalité. Beaucoup quittent une société sans drapeaux, où les contraires s’unissent pour détrôner le bien. Je ne suppose pas qu’on se donne à Dieu par une pensée cupide. Quelques hommes peuvent voir dans la prêtrise un moyen de régénérer notre patrie ; mais, selon mes faibles lumières, le prêtre patriote est un non sens. Le prêtre ne doit appartenir qu’à Dieu. Je n’ai pas voulu offrir à notre Père, qui cependant accepte tout, les débris de mon cœur et les restes de ma volonté, je me suis donné tout entier. Dans une des touchantes Théories des religions païennes, la victime destinée aux faux dieux allait au temple couronnée de fleurs. Cette coutume m’a toujours attendri. Un sacrifice n’est rien sans la grâce. Ma vie est donc simple et sans le plus petit roman. Cependant si vous voulez une confession entière, je vous dirai tout. Ma famille est au-dessus de l’aisance, elle est presque riche. Mon père, seul artisan de sa fortune, est un homme dur, inflexible ; il traite d’ailleurs sa femme et ses enfants comme il se traite lui-même. Je n’ai jamais surpris sur ses lèvres le moindre sourire. Sa main de fer, son visage de bronze, son activité sombre et brusque à la fois, nous comprimaient tous, femme, enfants, commis et domestiques, sous un despotisme sauvage. J’aurais pu, je parle pour moi seul, m’accommoder de cette vie si ce pouvoir eût produit une compression égale ; mais quinteux et vacillant, il offrait des alternatives intolérables. Nous ignorions toujours si nous faisions bien ou si nous étions en faute, et l’horrible attente qui en résultait est insupportable dans la vie domestique. On aime mieux alors être dans la rue que chez soi. Si j’eusse été seul au logis, j’aurais encore tout souffert de mon père sans murmurer ; mais mon cœur était déchiré par les douleurs acérées qui ne laissaient pas de relâche à une mère ardemment aimée dont les pleurs surpris me causaient des rages pendant lesquelles je n’avais plus ma raison. Le temps de mon séjour au collège, où les enfants sont en proie à tant de misères et de travaux, fut pour moi comme un âge d’or. Je craignais les jours de congé. Ma mère était elle-même heureuse de me venir voir. Quand j’eus fini mes humanités, quand je dus rentrer sous le toit paternel et devenir commis de mon père, il me fut impossible d’y rester plus de quelques mois : ma raison, égarée par la force de l’adolescence, pouvait succomber. Par une