Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/607

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point attenter à sa vie, et de se bien conduire pendant que nous serons avec lui, j’obtiendrai qu’il soit délié ; mais la moindre infraction à sa promesse retomberait sur moi.

— J’ai tant besoin de me mouvoir à ma fantaisie, cher monsieur Bonnet, dit le condamné dont les yeux se mouillèrent de larmes, que je vous donne ma parole de vous satisfaire.

Le curé sortit, le geôlier entra, la camisole fut ôtée.

— Vous ne me tuerez pas ce soir, lui dit le porte-clefs.

Jean ne répondit rien.

— Pauvre frère ! dit Denise en apportant un panier que l’on avait soigneusement visité, voici quelques-unes des choses que tu aimes, car on te nourrit sans doute pour l’amour de Dieu !

Elle montra des fruits cueillis aussitôt qu’elle sut pouvoir entrer dans la prison, une galette que sa mère avait aussitôt soustraite. Cette attention, qui lui rappelait son jeune temps, puis la voix et les gestes de sa sœur, la présence de sa mère, celle du curé, tout détermina chez Jean une réaction : il fondit en larmes.

— Ah ! Denise, dit-il, je n’ai pas fait un seul repas depuis six mois. J’ai mangé poussé par la faim, voilà tout !

La mère et la fille sortirent, allèrent et vinrent. Animées par cet esprit qui porte les ménagères à procurer aux hommes leur bien-être, elles finirent par servir un souper à leur pauvre enfant. Elles furent aidées : il y avait ordre de les seconder en tout ce qui serait compatible avec la sûreté du condamné. Les des Vanneaulx auraient eu le triste courage de contribuer au bien-être de celui de qui ils attendaient encore leur héritage. Jean eut donc ainsi un dernier reflet des joies de la famille, joies attristées par la teinte sévère que leur donnait la circonstance.

— Mon pourvoi est rejeté ? dit-il à monsieur Bonnet.

— Oui, mon enfant. Il ne te reste plus qu’à faire une fin digne d’un chrétien. Cette vie n’est rien en comparaison de celle qui t’attend ; il faut songer à ton bonheur éternel. Tu peux t’acquitter avec les hommes en leur laissant ta vie, mais Dieu ne se contente pas de si peu de chose.

— Laisser ma vie ?…Ah ! vous ne savez pas tout ce qu’il me faut quitter.

Denise regarda son frère comme pour lui dire que, jusque dans les choses religieuses, il fallait de la prudence.

— Ne parlons point de cela, reprit-il en mangeant des fruits