Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/608

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avec une avidité qui dénotait un feu intérieur d’une grande intensité. Quand dois-je ?…

— Non, rien de ceci encore devant moi, dit la mère.

— Mais je serais plus tranquille, dit-il tout bas au curé.

— Toujours son même caractère, s’écria monsieur Bonnet, qui se pencha vers lui pour lui dire à l’oreille : — Si vous vous réconciliez cette nuit avec Dieu, et si votre repentir me permet de vous absoudre, ce sera demain. — Nous avons obtenu déjà beaucoup en vous calmant, répéta-t-il à haute voix.

En entendant ces derniers mots, les lèvres de Jean pâlirent, ses yeux se tournèrent par une violente contraction, et il passa sur sa face un frisson d’orage.

— Comment suis-je calme ? se demanda-t-il. Heureusement il rencontra les yeux pleins de larmes de sa Denise, et il reprit de l’empire sur lui. — Eh ! bien, il n’y a que vous que je puisse entendre, dit-il au curé. Ils ont bien su par où l’on pouvait me prendre. Et il se jeta la tête sur le sein de sa mère.

— Écoute-le, mon fils, dit la mère en pleurant, il risque sa vie, ce cher monsieur Bonnet, en s’engageant à te conduire… Elle hésita et dit : À la vie éternelle. Puis elle baisa la tête de Jean et la garda sur son cœur pendant quelques instants.

— Il m’accompagnera ? demanda Jean en regardant le curé qui prit sur lui d’incliner la tête. — Eh ! bien, je l’écouterai, je ferai tout ce qu’il voudra.

— Tu me le promets, dit Denise, car ton âme à sauver, voilà ce que nous voyons tous. Et puis, veux-tu qu’on dise dans tout Limoges et dans le pays, qu’un Tascheron n’a pas su faire une belle mort. Enfin, pense donc que tout ce que tu perds ici, tu peux le retrouver dans le ciel, où se revoient les âmes pardonnées.

Cet effort surhumain dessécha le gosier de cette héroïque fille. Elle fit comme sa mère, elle se tut, mais elle avait triomphé. Le criminel, jusqu’alors furieux de se voir arracher son bonheur par la Justice, tressaillit à la sublime idée catholique si naïvement exprimée par sa sœur. Toutes les femmes, même une jeune paysanne comme Denise, savent trouver ces délicatesses ; n’aiment-elles pas toutes à éterniser l’amour ? Denise avait touché deux cordes bien sensibles. L’Orgueil réveillé appela les autres vertus, glacées par tant de misère et frappées par le désespoir. Jean prit la main de sa sœur, il la baisa et la mit sur son cœur d’une manière profondé-