Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/612

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Pendant la nuit, le lendemain, à trois lieues de Limoges, en pleine route, et dans un endroit désert, Denise, quoique épuisée de fatigue et de douleur, supplia son père de la laisser revenir à Limoges avec Louis-Marie Tascheron, l’un de ses frères.

— Que veux-tu faire encore dans cette ville ? répondit brusquement le père en plissant son front et contractant ses sourcils.

— Mon père, lui dit-elle à l’oreille, non-seulement nous devons payer l’avocat qui l’a défendu, mais encore il faut restituer l’argent qu’il a caché.

— C’est juste, dit l’homme probe en mettant la main dans un sac de cuir qu’il portait sur lui.

— Non, non, fit Denise, il n’est plus votre fils. Ce n’est pas à ceux qui l’ont maudit, mais à ceux qui l’ont béni de récompenser l’avocat.

— Nous vous attendrons au Havre, dit le père.

Denise et son frère rentrèrent en ville avant le jour, sans être vus. Quand, plus tard, la Police apprit leur retour, elle ne put jamais savoir où ils s’étaient cachés. Denise et son frère montèrent vers les quatre heures à la haute ville en se coulant le long des murs. La pauvre fille n’osait lever les yeux, de peur de rencontrer des regards qui eussent vu tomber la tête de son frère. Après être allés chercher le curé Bonnet, qui, malgré sa faiblesse, consentit à servir de père et de tuteur à Denise en cette circonstance, ils se rendirent chez l’avocat, qui demeurait rue de la Comédie.

— Bonjour, mes pauvres enfants, dit l’avocat en saluant monsieur Bonnet, à quoi puis-je vous être utile ? Vous voulez peut-être me charger de réclamer le corps de votre frère.

— Non, monsieur, dit Denise en pleurant à cette idée qui ne lui était pas venue, je viens pour nous acquitter envers vous, autant que l’argent peut acquitter une dette éternelle.

— Asseyez-vous donc, dit l’avocat en remarquant alors que Denise et le curé restaient debout.

Denise se retourna pour prendre dans son corset deux billets de cinq cents francs, attachés avec une épingle à sa chemise, et s’assit en les présentant au défenseur de son frère. Le curé jetait sur l’avocat un regard étincelant qui se mouilla bientôt.

— Gardez, dit l’avocat, gardez cet argent pour vous, ma pauvre fille, les riches ne paient pas si généreusement une cause perdue. Monsieur, dit Denise, il m’est impossible de vous obéir.