Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/617

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hautes vertus, et pendant laquelle elle fut une tout autre femme. À la madone de Raphaël, ensevelie à onze ans sous le manteau troué de la petite vérole, avait succédé la femme belle, noble, passionnée ; et de cette femme, frappée par d’intimes malheurs, il sortait une sainte. Le visage avait alors une teinte jaune semblable à celle qui colore les austères figures des abbesses célèbres par leurs macérations. Les tempes attendries s’étaient dorées. Les lèvres avaient pâli, on n’y voyait plus la rougeur de la grenade entr’ouverte, mais les froides teintes d’une rose de Bengale. Dans le coin des yeux, à la naissance du nez, les douleurs avaient tracé deux places nacrées par où bien des larmes secrètes avaient cheminé. Les larmes avaient effacé les traces de la petite-vérole, et usé la peau. La curiosité s’attachait invinciblement à cette place où le réseau bleu des petits vaisseaux battait à coups précipités, et se montrait grossi par l’affluence du sang qui se portait là, comme pour nourrir les pleurs. Le tour des yeux seul conservait des teintes brunes, devenues noires au-dessous et bistrées aux paupières horriblement ridées. Les joues étaient creuses, et leurs plis accusaient de graves pensées. Le menton, où dans la jeunesse une chair abondante recouvrait les muscles, s’était amoindri, mais au désavantage de l’expression ; il révélait alors une implacable sévérité religieuse que Véronique exerçait seulement sur elle. À vingt-neuf ans, Véronique, obligée de se faire arracher une immense quantité de cheveux blancs, n’avait plus qu’une chevelure rare et grêle ; ses couches avaient détruit ses cheveux, l’un de ses plus beaux ornements. Sa maigreur effrayait. Malgré les défenses de son médecin, elle avait voulu nourrir son fils. Le médecin triomphait dans la ville en voyant se réaliser tous les changements qu’il avait pronostiqués au cas où Véronique nourrirait malgré lui. « — Voilà ce que produit une seule couche chez une femme, disait-il. Aussi, adore-t-elle son enfant. J’ai toujours remarqué que les mères aiment leurs enfants en raison du prix qu’ils leur coûtent. » Les yeux flétris de Véronique offraient néanmoins la seule chose qui fût restée jeune dans son visage : le bleu foncé de l’iris jetait un feu d’un éclat sauvage, où la vie semblait s’être réfugiée en désertant ce masque immobile et froid, mais animé par une pieuse expression dès qu’il s’agissait du prochain. Aussi la surprise, l’effroi du curé cessèrent-ils à mesure qu’il expliquait à madame Graslin tout le bien qu’un propriétaire pouvait opérer à Montégnac, en y résidant.