Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/624

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par lequel ce prêtre perçait le voile de chair qui lui couvrait l’âme, et y surprenait le secret caché dans une des fosses de ce cimetière, elle lui cria : — Eh ! bien, oui.

L’évêque se posa la main sur les yeux et resta pensif, accablé pendant quelques instants.

— Soutenez ma fille, cria la vieille, elle pâlit.

— L’air est vif, il m’a saisie, dit madame Graslin en tombant évanouie dans les bras des deux ecclésiastiques qui la portèrent dans une des chambres du château.

Quand elle reprit connaissance, elle vit l’évêque et le curé priant Dieu pour elle, tous deux à genoux.

— Puisse l’ange qui vous a visitée ne plus vous quitter, lui dit l’évêque en la bénissant. Adieu, ma fille.

Ces mots firent fondre en larmes madame Graslin.

— Elle est donc sauvée ? s’écria la Sauviat.

— Dans ce monde et dans l’autre, ajouta l’évêque en se retournant avant de quitter la chambre.

Cette chambre où la Sauviat avait fait porter sa fille est située au premier étage du pavillon latéral dont les fenêtres regardent l’église, le cimetière et le côté méridional de Montégnac. Madame Graslin voulut y demeurer, et s’y logea tant bien que mal avec Aline et le petit Francis. Naturellement la Sauviat resta près de sa fille. Quelques jours furent nécessaires à madame Graslin pour se remettre des violentes émotions qui l’avaient saisie à son arrivée, sa mère la força d’ailleurs de garder le lit pendant toutes les matinées. Le soir, Véronique s’asseyait sur le banc de la terrasse, d’où ses yeux plongeaient sur l’église, sur le presbytère et le cimetière. Malgré la sourde opposition qu’y mit la vieille Sauviat, madame Graslin allait donc contracter une habitude de maniaque en s’asseyant ainsi à la même place, et s’y abandonnant à une sombre mélancolie.

— Madame se meurt, dit Aline à la vieille Sauviat.

Averti par ces deux femmes, le curé, qui ne voulait pas s’imposer, vint alors voir assidûment madame Graslin, dès qu’on lui eut indiqué chez elle une maladie de l’âme. Ce vrai pasteur eut soin de faire ses visites à l’heure où Véronique se posait à l’angle de la terrasse avec son fils, en deuil tous deux. Le mois d’octobre commençait, la nature devenait sombre et triste. Monsieur Bonnet qui, dès l’arrivée de Véronique à Montégnac, avait reconnu chez elle