Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/625

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quelque grande plaie intérieure, jugea prudent d’attendre la confiance entière de cette femme qui devait devenir sa pénitente. Un soir, madame Graslin regarda le curé d’un œil presque éteint par la fatale indécision observée chez les gens qui caressent l’idée de la mort. Dès cet instant monsieur Bonnet n’hésita plus, et se mit en devoir d’arrêter les progrès de cette cruelle maladie morale. Il y eut d’abord entre Véronique et le prêtre un combat de paroles vides sous lesquelles ils se cachèrent leurs véritables pensées. Malgré le froid, Véronique était en ce moment sur un banc de granit et tenait Francis assis sur elle. La Sauviat était debout, appuyée contre la balustrade en briques, et cachait à dessein la vue du cimetière. Aline attendait que sa maîtresse lui rendît l’enfant.

— Je croyais, madame, dit le curé qui venait déjà pour la septième fois, que vous n’aviez que de la mélancolie ; mais je le vois, lui dit-il à l’oreille, c’est du désespoir. Ce sentiment n’est ni chrétien ni catholique.

— Et, répondit-elle en jetant au ciel un regard perçant et laissant errer un sourire amer sur ses lèvres, quel sentiment l’Église laisse-t-elle aux damnés, si ce n’est le désespoir.

En entendant ce mot, le saint homme aperçut dans cette âme d’immenses étendues ravagées.

— Ah ! vous faites de cette colline votre Enfer, quand elle devrait être le Calvaire d’où vous vous élancerez dans le ciel.

— Je n’ai plus assez d’orgueil pour me mettre sur un pareil piédestal, répondit-elle d’un ton qui révélait le profond mépris qu’elle avait pour elle-même.

Là, le prêtre, par une de ces inspirations qui sont si naturelles et si abondantes chez ces belles âmes vierges, l’homme de Dieu prit l’enfant dans ses bras, le baisa au front et dit : — Pauvre petit ! d’une voix paternelle en le rendant lui-même à la femme de chambre, qui l’emporta.

La Sauviat regarda sa fille, et vit combien le mot de monsieur Bonnet était efficace. Ce mot avait attiré des pleurs dans les yeux secs de Véronique. La vieille Auvergnate fit un signe au prêtre et disparut.

— Promenez-vous, dit monsieur Bonnet à Véronique en l’emmenant le long de cette terrasse à l’autre bout de laquelle se voyaient les Tascherons. Vous m’appartenez, je dois compte à Dieu de votre âme malade.