Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/645

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout développés du côté physique, ils possédaient les propriétés remarquables des sauvages : une vue perçante, une attention constante, un empire certain sur eux-mêmes, l’ouïe sûre, une agilité visible, une intelligente adresse. Au premier regard que l’enfant lança sur son père, madame Graslin devina une de ces affections sans bornes où l’instinct s’est trempé dans la pensée, et où le bonheur le plus agissant confirme et le vouloir de l’instinct et l’examen de la pensée.

— Voilà l’enfant dont on m’a parlé ? dit Véronique en montrant le garçon.

— Oui, madame.

— Vous n’avez donc fait aucune démarche pour retrouver sa mère ? demanda Véronique à Farrabesche en l’emmenant à quelques pas par un signe.

— Madame ne sait sans doute pas qu’il m’est interdit de m’écarter de la commune sur laquelle je réside.

— Et n’avez-vous jamais eu de nouvelles ?

— À l’expiration de mon temps, répondit-il, le commissaire me remit une somme de mille francs qui m’avait été envoyée par petites portions de trois en trois mois, et que les règlements ne permettaient pas de me donner avant le jour de ma sortie. J’ai pensé que Catherine pouvait seule avoir songé à moi, puisque ce n’était pas monsieur Bonnet ; aussi ai-je gardé cette somme pour Benjamin.

— Et les parents de Catherine ?

— Ils n’ont plus pensé à elle après son départ. D’ailleurs, ils ont fait assez en prenant soin du petit.

— Eh ! bien, Farrabesche, dit Véronique en se retournant vers la maison, je ferai en sorte de savoir si Catherine vit encore, où elle est, et quel est son genre de vie…

— Oh ! quel qu’il soit, madame, s’écria doucement cet homme je regarderai comme un bonheur de l’avoir pour femme. C’est à elle à se montrer difficile et non à moi. Notre mariage légitimerait ce pauvre garçon, qui ne soupçonne pas encore sa position.

Le regard que le père jeta sur le fils expliquait la vie de ces deux êtres abandonnés ou volontairement isolés : ils étaient tout l’un pour l’autre, comme deux compatriotes jetés dans un désert.

— Ainsi vous aimez Catherine, demanda Véronique.

— Je ne l’aimerais pas, madame, répondit-il, que dans ma si-