Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/65

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ces deux mots par deux inflexions de voix pleines d’un mépris qui déborda même dans le geste par lequel elle montra le cavalier. Écoute, Francine, reprit-elle, te souviens-tu de Patriote, ce singe que j’avais habitué à contrefaire Danton, et qui nous amusait tant.

— Oui, mademoiselle.

— Eh ! bien, en avais-tu peur ?

— Il était enchaîné.

— Mais Corentin est muselé, mon enfant.

— Nous badinions avec Patriote pendant des heures entières, dit Francine, je le sais, mais il finissait toujours par nous jouer quelque mauvais tour. À ces mots, Francine se rejeta vivement au fond de la voiture, près de sa maîtresse, lui prit les mains pour les caresser avec des manières câlines, en lui disant d’une voix affectueuse : — Mais vous m’avez devinée, Marie, et vous ne me répondez pas. Comment, après ces tristesses qui m’ont fait tant de mal, oh ! bien du mal, pouvez-vous en vingt-quatre heures devenir d’une gaieté folle, comme lorsque vous parliez de vous tuer. D’où vient ce changement. J’ai le droit de vous demander un peu compte de votre âme. Elle est à moi avant d’être à qui que ce soit, car jamais vous ne serez mieux aimée que vous ne l’êtes par moi. Parlez, mademoiselle.

— Eh bien ! Francine, ne vois-tu pas autour de nous le secret de ma gaieté. Regarde les houppes jaunies de ces arbres lointains ? pas une ne se ressemble. À les contempler de loin, ne dirait-on pas une vieille tapisserie de château. Vois ces haies derrière lesquelles il peut se rencontrer des Chouans à chaque instant. Quand je regarde ces ajoncs, il me semble apercevoir des canons de fusil. J’aime ce renaissant péril qui nous environne. Toutes les fois que la route prend un aspect sombre, je suppose que nous allons entendre des détonations, alors mon cœur bat, une sensation inconnue m’agite. Et ce n’est ni les tremblements de la peur, ni les émotions du plaisir ; non, c’est mieux, c’est le jeu de tout ce qui se meut en moi, c’est la vie. Quand je ne serais joyeuse que d’avoir un peu animé ma vie !

— Ah ! vous ne me dites rien, cruelle. Sainte Vierge, ajouta Francine en levant les yeux au ciel avec douleur, à qui se confessera-t-elle, si elle se tait avec moi ?

— Francine, reprit l’inconnue d’un ton grave, je ne peux pas t’avouer mon entreprise. Cette fois-ci, c’est horrible.