Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/689

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enterrent annuellement cinquante francs, et soustraient ainsi cent cinquante millions au mouvement de l’argent. La science de l’Économie politique a mis à l’état d’axiome qu’un écu de cinq francs, qui passe dans cent mains pendant une journée, équivaut d’une manière absolue à cinq cents francs. Or, il est certain pour nous autres, vieux observateurs de l’état des campagnes, que le paysan choisit sa terre ; il la guette et l’attend, il ne place jamais ses capitaux. L’acquisition par les paysans doit donc se calculer par périodes de sept années. Les paysans laissent donc par sept années, inerte et sans mouvement, une somme de onze cents millions. Certes, la petite bourgeoisie en enterre bien autant, et se conduit de même à l’égard des propriétés auxquelles le paysan ne peut pas mordre. En quarante-deux ans, la France aura donc perdu, par chaque période de sept années, les intérêts d’au moins deux milliards, c’est-à-dire environ cent millions par sept ans, ou six cents millions en quarante-deux ans. Mais elle n’a pas perdu seulement six cents millions, elle a manqué à créer pour six cents millions de productions industrielles ou agricoles qui représentent une perte de douze cents millions ; car si le produit industriel n’était pas le double en valeur de son prix de revient en argent, le commerce n’existerait pas. Le prolétariat perd donc six cents millions de salaires ! Ces six cent millions de perte sèche, mais qui, pour un sévère économiste, représentent, par les bénéfices manquants de la circulation, une perte d’environ douze cents millions, expliquent l’état d’infériorité où se trouvent notre commerce, notre marine, et notre agriculture, à l’égard de celles de l’Angleterre. Malgré la différence qui existe entre les deux territoires, et qui est de plus des deux tiers en notre faveur, l’Angleterre pourrait remonter la cavalerie de deux armées françaises, et la viande y existe pour tout le monde. Mais aussi, dans ce pays, comme l’assiette de la propriété rend son acquisition presque impossible aux classes inférieures, tout écu devient commerçant et roule. Ainsi, outre la plaie du morcellement, celle de la diminution des races bovine, chevaline et ovine, le Titre des Successions nous vaut encore six cents millions d’intérêts perdus par l’enfouissement des capitaux du paysan et du bourgeois, douze cents millions de productions en moins, ou trois milliards de non-circulation par demi-siècle.

— L’effet moral est pire que l’effet matériel ! s’écria le curé. Nous fabriquons des propriétaires mendiants chez le peuple, des