Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/713

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Après cette confidence, l’ingénieur accéléra le mouvement des rames, ce qui fit sourire madame Graslin. Denise, qui vivait cachée à tous les regards dans la Chartreuse, reconnut madame Graslin et s’empressa d’ouvrir. Véronique et Gérard entrèrent. La pauvre fille ne put s’empêcher de rougir en rencontrant le regard de l’ingénieur, qui fut agréablement surpris par la beauté de Denise.

— La Curieux ne vous a laissé manquer de rien ? lui demanda Véronique.

— Voyez, madame, dit-elle en lui montrant le déjeuner.

— Voici monsieur Gérard de qui je vous ai parlé, reprit Véronique, il sera le tuteur de mon fils, et, après ma mort, vous demeurerez ensemble au château jusqu’à sa majorité.

— Oh ! madame, ne parlez pas ainsi.

— Mais regardez-moi, mon enfant, dit-elle à Denise, à qui elle vit aussitôt des larmes dans les yeux. — Elle vient de New-York, dit-elle à Gérard.

Ce fut une manière de mettre le couple en rapport. Gérard fit des questions à Denise, et Véronique les laissa causer en allant regarder le dernier lac du Gabou. Vers six heures, Gérard et Véronique revenaient en bateau vers le chalet.

— Eh ! bien ? dit-elle en regardant son ami.

— Vous avez ma parole.

— Quoique vous soyez sans préjugés, reprit-elle, vous ne devez pas ignorer la circonstance cruelle qui a fait quitter le pays à cette pauvre enfant, ramenée ici par la nostalgie.

— Une faute ?

— Oh ! non, dit Véronique, vous la présenterais-je ? Elle est la sœur d’un ouvrier qui a péri sur l’échafaud…

— Ah ! Tascheron, reprit-il, l’assassin du père Pingret…

— Oui, elle est la sœur d’un assassin, répéta madame Graslin avec une profonde ironie, vous pouvez reprendre votre parole.

Elle n’acheva pas, Gérard fut obligé de la porter sur le banc du chalet où elle resta sans connaissance pendant quelques instants. Elle trouva Gérard à ses genoux qui lui dit quand elle rouvrit les yeux : — J’épouserai Denise !

Madame Graslin releva Gérard, lui prit la tête, le baisa sur le front ; et, en le voyant étonné de ce remerciement, Véronique lui serra la main et lui dit : — Vous saurez bientôt le mot de cette énigme. Tâchons de regagner la terrasse où nous retrouverons nos