Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/714

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amis ; il est bien tard, je suis bien faible, et néanmoins je veux faire de loin mes adieux à cette chère plaine !

Quoique la journée eût été d’une insupportable chaleur, les orages qui pendant cette année dévastèrent une partie de l’Europe et de la France, mais qui respectèrent le Limousin, avaient eu lieu dans le bassin de la Loire, et l’air commençait à fraîchir. Le ciel était alors si pur que l’œil saisissait les moindres détails à l’horizon. Quelle parole peut peindre le délicieux concert que produisaient les bruits étouffés du bourg animé par les travailleurs à leur retour des champs ? Cette scène, pour être bien rendue, exige à la fois un grand paysagiste et un peintre de la figure humaine. N’y a-t-il pas en effet dans la lassitude de la nature et dans celle de l’homme une entente curieuse et difficile à rendre ? La chaleur attiédie d’un jour caniculaire et la raréfaction de l’air donnent alors au moindre bruit fait par les êtres toute sa signification. Les femmes assises à leurs portes en attendant leurs hommes qui souvent ramènent les enfants, babillent entre elles et travaillent encore. Les toits laissent échapper des fumées qui annoncent le dernier repas du jour, le plus gai pour les paysans : après, ils dormiront. Le mouvement exprime alors les pensées heureuses et tranquilles de ceux qui ont achevé leur journée. On entend des chants dont le caractère est bien certainement différent de ceux du matin. En ceci, les villageois imitent les oiseaux, dont les gazouillements, le soir, ne ressemblent en rien à leurs cris vers l’aube. La nature entière chante un hymne au repos, comme elle chante au lever du soleil un hymne d’allégresse. Les moindres actions des êtres animés semblent se teindre alors des douces et harmonieuses couleurs que le couchant jette sur les campagnes et qui prêtent au sable des chemins un caractère placide. Si quelqu’un osait nier l’influence de cette heure, la plus belle du jour, les fleurs le démentiraient en l’enivrant de leurs plus pénétrants parfums, qu’elles exhalent alors et mêlent aux cris les plus tendres des insectes, aux amoureux murmures des oiseaux. Les traînes qui sillonnent la plaine au delà du bourg s’étaient voilées de vapeurs fines et légères. Dans les grandes prairies que partage le chemin départemental, alors ombragé de peupliers, d’acacias et de vernis du Japon, également entre-mêlés, tous si bien venus qu’ils donnaient déjà de l’ombrage, on apercevait les immenses et célèbres troupeaux de haut bétail, parsemés, groupés, les uns ruminant, les autres paissant encore. Les hommes, les