Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/720

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— Ils sont cinq ! dit le curé, qui put voir et compter les voyageurs.

— Cinq ! reprit monsieur Gérard. En sauront-ils plus à cinq qu’à deux ?

— Ah ! s’écria madame Graslin, qui s’appuya sur le bras du curé, le Procureur-général y est ! Que vient-il faire ici ?

— Et papa Grossetête aussi, s’écria le jeune Graslin.

— Madame, dit le curé, qui soutint madame Graslin en l’emmenant à quelques pas, ayez du courage, et soyez digne de vous-même !

— Que veut-il ? répondit-elle en allant s’accoter à la balustrade. Ma mère ? La vieille Sauviat accourut avec une vivacité qui démentait toutes ses années. — Je le reverrai, dit-elle.

— S’il vient avec monsieur Grossetête, dit le curé, sans doute il n’a que de bonnes intentions.

— Ah ! monsieur, ma fille va mourir, s’écria la Sauviat en voyant l’impression que ces paroles produisirent sur la physionomie de sa fille. Son cœur pourra-t-il supporter de si cruelles émotions ? Monsieur Grossetête avait jusqu’à présent empêché cet homme de voir Véronique.

Madame Graslin avait le visage en feu.

— Vous le haïssez donc bien ? demande l’abbé Bonnet à sa pénitente.

— Elle a quitté Limoges pour ne pas mettre tout Limoges dans ses secrets, dit la Sauviat épouvantée du rapide changement qui se faisait dans les traits déjà décomposés de madame Graslin.

— Ne voyez-vous pas qu’il empoisonnera les heures qui me restent, et pendant lesquelles je ne dois penser qu’au ciel ; il me cloue à la terre, cria Véronique.

Le curé reprit le bras de madame Graslin et la contraignit à faire quelques pas avec lui ; quand ils furent seuls, il la contempla en lui jetant un de ces regards angéliques par lesquels il calmait les plus violents mouvements de l’âme.

— S’il en est ainsi, lui dit-il, comme votre confesseur, je vous ordonne de le recevoir, d’être bonne et affectueuse pour lui, de quitter ce vêtement de colère, et de lui pardonner comme Dieu vous pardonnera. Il y a donc encore un reste de passion dans cette âme que je croyais purifiée. Brûlez ce dernier grain d’encens sur l’autel de la pénitence, sinon tout serait mensonge en vous.