Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/733

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pensée d’expliquer. Peut-être verrait-on les sentiments les plus purs qui nous font agir ici-bas détournés insensiblement de leur pente par des sacrifices inouïs, par des raisons tirées de notre fragilité, par une foule de causes qui paraîtraient diminuer l’étendue de ma faute. Que les plus nobles affections aient été mes complices, en suis-je moins coupable ? J’aime mieux avouer que, moi qui par l’éducation, par ma situation dans le monde, pouvais me croire supérieure à l’enfant que me confiait mon père, et de qui je me trouvais séparée par la délicatesse naturelle à notre sexe, j’ai fatalement écouté la voix du démon. Je me suis bientôt trouvée beaucoup trop la mère de ce jeune homme pour être insensible à sa muette et délicate admiration. Lui seul, le premier, m’appréciait à ma valeur. Peut-être ai-je moi-même été séduite par d’horribles calculs : j’ai songé combien serait discret un enfant qui me devait tout, et que le hasard avait placé si loin de moi, quoique nous fussions égaux par notre naissance. Enfin, j’ai trouvé dans ma renommée de bienfaisance et dans mes pieuses occupations un manteau pour protéger ma conduite. Hélas ! et ceci sans doute est l’une de mes plus grandes fautes, j’ai caché ma passion à l’ombre des autels. Les plus vertueuses actions, l’amour que j’ai pour ma mère, les actes d’une dévotion véritable et sincère au milieu de tant d’égarements, j’ai tout fait servir au misérable triomphe d’une passion insensée, et ce fut autant de liens qui m’enchaînèrent. Ma pauvre mère adorée, qui m’entend, a été, sans en rien savoir pendant longtemps, l’innocente complice du mal. Quand elle a ouvert les yeux, il y avait trop de faits dangereux accomplis pour qu’elle ne cherchât pas dans son cœur de mère la force de se taire. Chez elle, le silence est ainsi devenu la plus haute des vertus. Son amour pour sa fille a triomphé de son amour pour Dieu. Ah ! je la décharge solennellement du voile pesant qu’elle a porté. Elle achèvera ses derniers jours sans faire mentir ni ses yeux ni son front. Que sa maternité soit pure de blâme, que cette noble et sainte vieillesse, couronnée de vertus, brille de tout son éclat, et soit dégagée de cet anneau par lequel elle touchait indirectement à tant d’infamie !…

Ici, les pleurs coupèrent pendant un moment la parole à Véronique ; Aline lui fit respirer des sels.

— Il n’y a pas jusqu’à la dévouée servante qui me rend ce dernier service qui n’ait été meilleure pour moi que je ne le méritais, et qui du moins a feint d’ignorer ce qu’elle savait ; mais elle a été