Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/82

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les, vous n’avez à craindre aucune trahison dans une offre faite avec simplicité par une personne qui n’épouse point les haines politiques.

— Le voyage ainsi fait ne sera pas sans danger, reprit-il en mettant dans son regard une finesse qui donnait de l’esprit à cette vulgaire réponse.

— Que craignez-vous donc encore, demanda-t-elle avec un sourire moqueur, je ne vois de périls pour personne.

— La femme qui parle ainsi est-elle la même dont le regard partageait mes désirs, se disait le jeune homme. Quel accent ! Elle me tend quelque piège.

En ce moment, le cri clair et perçant d’une chouette qui semblait perchée sur le sommet de la cheminée, vibra comme un sombre avis.

— Qu’est ceci ? dit mademoiselle de Verneuil. Notre voyage ne commencera pas sous d’heureux présages. Mais comment se trouve-t-il ici des chouettes qui chantent en plein jour ? demanda-t-elle en faisant un geste de surprise.

— Cela peut arriver quelquefois, dit le jeune homme froidement. — Mademoiselle, reprit-il, nous vous porterions peut-être malheur. N’est-ce pas là votre pensée ? Ne voyageons donc pas ensemble.

Ces paroles furent dites avec un calme et une réserve qui surprirent mademoiselle de Verneuil.

— Monsieur, dit-elle avec une impertinence tout aristocratique, je suis loin de vouloir vous contraindre. Gardons le peu de liberté que nous laisse la République. Si madame était seule, j’insisterais…

Les pas pesants d’un militaire retentirent dans le corridor, et le commandant Hulot montra bientôt une mine renfrognée.

— Venez ici, mon colonel, dit en souriant mademoiselle de Verneuil qui lui indiqua de la main une chaise auprès d’elle. — Occupons-nous, puisqu’il le faut, des affaires de l’État. Mais riez donc ? Qu’avez-vous ? Y a-t-il des Chouans ici ?

Le commandant était resté béant à l’aspect du jeune inconnu qu’il contemplait avec une singulière attention.

— Ma mère, désirez-vous encore du lièvre ? Mademoiselle, vous ne mangez pas, disait à Francine le marin en s’occupant des convives.