Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/97

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Cette innocente légitimation de l’âge que madame du Gua s’était donné, fit sourire le jeune homme et inspira à sa prétendue mère un nouveau dépit. La haine de cette femme grandissait à chaque regard passionné que jetait son fils sur Marie. Le silence, le discours, tout allumait en elle une effroyable rage déguisée sous les manières les plus affectueuses.

— Mademoiselle, dit alors l’inconnu, vous êtes dans l’erreur. Les marins ne sont pas plus exposés que ne le sont les autres militaires. Les femmes ne devraient pas haïr la marine : n’avons-nous pas sur les troupes de terre l’immense avantage de rester fidèles à nos maîtresses ?

— Oh ! de force, répondit en riant mademoiselle de Verneuil.

— C’est toujours de la fidélité, répliqua madame du Gua d’un ton presque sombre.

La conversation s’anima, se porta sur des sujets qui n’étaient intéressants que pour les trois voyageurs ; car, en ces sortes de circonstances, les gens d’esprit donnent aux banalités des significations neuves ; mais l’entretien, frivole en apparence, par lequel ces inconnus se plurent à s’interroger mutuellement, cacha les désirs, les passions et les espérances qui les agitaient. La finesse et la malice de Marie, qui fut constamment sur ses gardes, apprirent à madame du Gua que la calomnie et la trahison pourraient seules la faire triompher d’une rivale aussi redoutable par son esprit que par sa beauté. Les voyageurs atteignirent l’escorte, et la voiture alla moins rapidement. Le jeune marin aperçut une longue côte à monter et proposa une promenade à mademoiselle de Verneuil. Le bon goût, l’affectueuse politesse du jeune homme semblèrent décider la Parisienne, et son consentement le flatta.

— Madame est-elle de notre avis ? demanda-t-elle à madame du Gua. Veut-elle aussi se promener ?

— La coquette ! dit la dame en descendant de voiture.

Marie et l’inconnu marchèrent ensemble mais séparés. Le marin, déjà saisi par de violents désirs, fut jaloux de faire tomber la réserve qu’on lui opposait, et de laquelle il n’était pas la dupe. Il crut pouvoir y réussir en badinant avec l’inconnue à la faveur de cette amabilité française, de cet esprit parfois léger, parfois sérieux, toujours chevaleresque, souvent moqueur qui distinguait les hommes remarquables de l’aristocratie exilée. Mais la rieuse Parisienne