— Quelques heures, dit Raphaël en l’interrompant, non, non, je ne veux être levé que durant une heure au plus.
— Quel est donc ton dessein ? demanda Bianchon.
— Dormir, c’est encore vivre, répondit le malade.
— Ne laisse entrer personne, fût-ce même mademoiselle Pauline de Vitschnau, dit Valentin à Jonathas pendant que le médecin écrivait son ordonnance.
— Hé ! bien, monsieur Horace, y a-t-il de la ressource ? demanda le vieux domestique au jeune docteur qu’il avait reconduit jusqu’au perron.
— Il peut aller encore long-temps, ou mourir ce soir. Chez lui, les chances de vie et de mort sont égales. Je n’y comprends rien, répondit le médecin en laissant échapper un geste de doute. Il faut le distraire.
— Le distraire ! monsieur, vous ne le connaissez pas. Il a tué l’autre jour un homme sans dire ouf ! Rien ne le distrait.
Raphaël demeura pendant quelques jours plongé dans le néant de son sommeil factice. Grâce à la puissance matérielle exercée par l’opium sur notre âme immatérielle, cet homme d’imagination si puissamment active s’abaissa jusqu’à la hauteur de ces animaux paresseux qui croupissent au sein des forêts, sous la forme d’une dépouille végétale, sans faire un pas pour saisir une proie facile. Il avait même éteint la lumière du ciel, le jour n’entrait plus chez lui. Vers les huit heures du soir, il sortait de son lit : sans avoir une conscience lucide de son existence, il satisfaisait sa faim, puis se recouchait aussitôt. Ses heures froides et ridées ne lui apportaient que de confuses images, des apparences, des clairs-obscurs sur un fond noir. Il s’était enseveli dans un profond silence, dans une négation de mouvement et d’intelligence. Un soir, il se réveilla beaucoup plus tard que de coutume, et ne trouva pas son dîner servi. Il sonna Jonathas.
— Tu peux partir, lui dit-il. Je t’ai fait riche, tu seras heureux dans tes vieux jours ; mais je ne veux plus te laisser jouer ma vie. Comment ! misérable, je sens la faim. Où est mon dîner ? réponds.
Jonathas laissa échapper un sourire de contentement, prit une bougie dont la lumière tremblotait dans l’obscurité profonde des immenses appartements de l’hôtel ; il conduisit son maître redevenu machine à une vaste galerie et en ouvrit brusquement la porte. Aussitôt Raphaël, inondé de lumière, fut ébloui, surpris par