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JÉSUS-CHRIST EN FLANDRE.

main secourable sur sa tête : Bon pour cette fois-ci, mais n’y revenez plus, ce serait d’un trop mauvais exemple.

Il prit le marin sur ses épaules et le porta jusqu’à la chaumière du pêcheur. Il frappa pour le malheureux, afin qu’on lui ouvrît la porte de ce modeste asile, puis le Sauveur disparut. En cet endroit, fut bâti, pour les marins, le couvent de la Merci, où se vit long-temps l’empreinte que les pieds de Jésus Christ avaient, dit-on, laissée sur le sable. En 1793, lors de l’entrée des Français en Belgique, des moines emportèrent cette précieuse relique, l’attestation de la dernière visite que Jésus ait faite à la Terre.

Ce fut là que, fatigué de vivre, je me trouvais quelque temps après la révolution de 1830. Si vous m’eussiez demandé la raison de mon désespoir, il m’aurait été presque impossible de la dire, tant mon âme était devenue molle et fluide. Les ressorts de mon intelligence se détendaient sous la brise d’un vent d’ouest. Le ciel versait un froid noir, et les nuées brunes qui passaient au-dessus de ma tête donnaient une expression sinistre à la nature. L’immensité de la mer, tout me disait : — Mourir aujourd’hui, mourir demain, ne faudra-t-il pas toujours mourir ? et, alors… J’errais donc en pensant à un avenir douteux, à mes espérances déchues. En proie à ces idées funèbres, j’entrai machinalement dans cette église du couvent, dont les tours grises m’apparaissaient alors comme des fantômes à travers les brumes de la mer. Je regardai sans enthousiasme cette forêt de colonnes assemblées dont les chapiteaux feuillus soutiennent des arcades légères, élégant labyrinthe. Je marchai tout insouciant dans les nefs latérales qui se déroulaient devant moi comme des portiques tournant sur eux-mêmes. La lumière incertaine d’un jour d’automne permettait à peine de voir en haut des voûtes les clefs sculptées, les nervures délicates qui dessinaient si purement les angles de tous les cintres gracieux. Les orgues étaient muettes. Le bruit seul de mes pas réveillait les graves échos cachés dans les chapelles noires. Je m’assis auprès d’un des quatre piliers qui soutiennent la coupole, près du chœur. De là, je pouvais saisir l’ensemble de ce monument que je contemplai sans y attacher aucune idée. L’effet mécanique de mes yeux me faisait seul embrasser le dédale imposant de tous les piliers, les roses immenses miraculeusement attachées comme des réseaux au-dessus des portes latérales ou du grand portail, les galeries aériennes où de petites colonnes menues séparaient les vitraux enchâssés par des arcs,