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JÉSUS-CHRIST EN FLANDRE.

ne l’as-tu pas jetée sur la tête des souverains qui avaient ici-bas le pouvoir, l’argent et le talent ! Insultant à l’homme et prenant joie à voir jusqu’où allait la bêtise humaine, tantôt tu disais à tes amants de marcher à quatre pattes, de te donner leurs biens, leurs trésors, leurs femmes même, quand elles valaient quelque chose ! Tu as, sans motif, dévoré des millions d’hommes, tu les as jetés comme des nuées sablonneuses de l’Occident sur l’Orient. Tu es descendue des hauteurs de la pensée pour t’asseoir à côté des rois. Femme, au lieu de consoler les hommes, tu les as tourmentés, affligés ! Sûre d’en obtenir, tu demandais du sang ! Tu pouvais cependant te contenter d’un peu de farine, élevée comme tu le fus, à manger des gâteaux et à mettre de l’eau dans ton vin. Originale en tout, tu défendais jadis à tes amants épuisés de manger, et ils ne mangeaient pas. Pourquoi extravaguais-tu jusqu’à vouloir l’impossible ? Semblable à quelque courtisane gâtée par ses adorateurs, pourquoi t’es-tu affolée de niaiseries et n’as-tu pas détrompé les gens qui expliquaient ou justifiaient toutes tes erreurs ? Enfin, tu as eu tes dernières passions ! Terrible comme l’amour d’une femme de quarante ans, tu as rugi ! tu as voulu étreindre l’univers entier dans un dernier embrassement, et l’univers qui t’appartenait t’a échappé. Puis, après les jeunes gens sont venus à tes pieds des vieillards, des impuissants qui t’ont rendue hideuse. Cependant quelques hommes au coup d’œil d’aigle te disaient d’un regard : — Tu périras sans gloire, parce que tu as trompé, parce que tu as manqué à tes promesses de jeune fille. Au lieu d’être un ange au front de paix et de semer la lumière et le bonheur sur ton passage, tu as été une Messaline aimant le cirque et les débauches, abusant de ton pouvoir. Tu ne peux plus redevenir vierge, il te faudrait un maître. Ton temps arrive. Tu sens déjà la mort. Tes héritiers te croient riche, ils te tueront et ne recueilleront rien. Essaie au moins de jeter tes hardes qui ne sont plus de mode, redeviens ce que tu étais jadis. Mais non ! tu t’es suicidée ! N’est-ce pas là ton histoire ? lui dis-je en finissant, vieille caduque, édentée, froide, maintenant oubliée et qui passes sans obtenir un regard. Pourquoi vis-tu ? Que fais-tu de ta robe de plaideuse qui n’excite le désir de personne ? où est ta fortune ? pourquoi l’as-tu dissipée ? où sont tes trésors ? Qu’as-tu fait de beau ?

À cette demande, la petite vieille se redressa sur ses os, rejeta ses guenilles, grandit, s’éclaira, sourit, sortit de sa chrysalide