Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
MELMOTH RÉCONCILIÉ.

sance des démons, la jugent avec leurs idées d’hommes, sans prévoir qu’ils endosseront les idées du démon en prenant son pouvoir, qu’ils resteront hommes, et au milieu d’êtres qui ne peuvent plus les comprendre. Le Néron inédit qui rêve de faire brûler Paris pour sa distraction, comme on donne au théâtre le spectacle fictif d’un incendie, ne se doute pas que Paris deviendra pour lui ce qu’est pour un voyageur pressé, la fourmilière qui borde un chemin. Les sciences furent pour Castanier ce qu’est un logogriphe pour celui qui en sait le mot. Les rois, les gouvernements lui faisaient pitié. Sa grande débauche fut donc, en quelque sorte, un déplorable adieu à sa condition d’homme. Il se sentit à l’étroit sur la terre, car son infernale puissance le faisait assister au spectacle de la création dont il entrevoyait les causes et la fin. En se voyant exclu de ce que les hommes ont nommé le ciel dans tous leurs langages, il ne pouvait plus penser qu’au ciel. Il comprit alors le desséchement intérieur exprimé sur la face de son prédécesseur, il mesura l’étendue de ce regard allumé par un espoir toujours trahi, il éprouva la soif qui brûlait cette lèvre rouge, et les angoisses d’un combat perpétuel entre deux natures agrandies. Il pouvait être encore un ange, il se trouvait un démon. Il ressemblait à la suave créature emprisonnée par le mauvais vouloir d’un enchanteur dans un corps difforme, et qui, prise sous la cloche d’un pacte, avait besoin de la volonté d’autrui pour briser une détestable enveloppe détestée. De même que l’homme vraiment grand n’en a que plus d’ardeur à chercher l’infini du sentiment dans un cœur de femme, après une déception ; de même Castanier se trouva tout à coup sous le poids d’une seule idée, idée qui peut-être était la clef des mondes supérieurs. Par cela seul qu’il avait renoncé à son éternité bienheureuse, il ne pensait plus qu’à l’avenir de ceux qui prient et qui croient. Quand, au sortir de la débauche où il prit possession de son pouvoir, il sentit l’étreinte de ce sentiment, il connut les douleurs que les poètes sacrés, les apôtres et les grands oracles de la foi nous ont dépeintes en des termes si gigantesques. Harponné par l’épée flamboyante de laquelle il sentait la pointe dans ses reins, il courut chez Melmoth, afin de voir ce qu’il advenait de son prédécesseur. L’Anglais demeurait rue Férou, près Saint-Sulpice, dans un hôtel sombre, noir, humide et froid. Cette rue, ouverte au nord, comme toutes celles qui tombent perpendiculairement sur la rive gauche de la Seine, est une des rues les plus tristes de Paris,