Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/329

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et féminine, mais elle commandait l’attention. Petite, bossue et boiteuse, cette femme resta d’autant plus longtemps fille qu’on s’obstinait à lui refuser de l’esprit ; néanmoins il se rencontra quelques hommes fortement émus par l’ardeur passionnée qu’exprimait sa tête, par les indices d’une inépuisable tendresse, et qui demeurèrent sous un charme inconciliable avec tant de défauts. Elle tenait beaucoup de son aïeul le duc de Casa-Réal, grand d’Espagne. En cet instant, le charme qui jadis saisissait si despotiquement les âmes amoureuses de poésie jaillissait de sa tête plus vigoureusement qu’en aucun moment de sa vie passée, et s’exerçait, pour ainsi dire, dans le vide, en exprimant une volonté fascinatrice toute puissante sur les hommes, mais sans force sur les destinées.

Quand ses yeux quittaient le bocal où elle regardait les poissons sans les voir, elle les relevait par un mouvement désespéré, comme pour invoquer le ciel. Ses souffrances semblaient être de celles qui ne peuvent se confier qu’à Dieu. Le silence n’était troublé que par des grillons, par quelques cigales qui criaient dans le petit jardin d’où s’échappait une chaleur de four, et par le sourd retentissement de l’argenterie, des assiettes et des chaises que remuait, dans la pièce contiguë au parloir, un domestique occupé à servir le dîner. En ce moment, la dame affligée prêta l’oreille et parut se recueillir, elle prit son mouchoir, essuya ses larmes, essaya de sourire, et détruisit si bien l’expression de douleur gravée dans tous ses traits qu’on eût pu la croire dans cet état d’indifférence où nous laisse une vie exempte d’inquiétudes. Soit que l’habitude de vivre dans cette maison où la confinaient ses infirmités lui eût permis d’y reconnaître quelques effets naturels imperceptibles pour d’autres et que les personnes en proie à des sentiments extrêmes recherchent vivement, soit que la nature eût compensé tant de disgrâces physiques en lui donnant des sensations plus délicates qu’à des êtres en apparence plus avantageusement organisés, cette femme avait entendu le pas d’un homme dans une galerie bâtie au-dessus des cuisines et des salles destinées au service de la maison, et par laquelle le quartier de devant communiquait avec le quartier de derrière.

Le bruit des pas devint de plus en plus distinct.

Bientôt, sans avoir la puissance avec laquelle une créature passionnée comme l’était cette femme sait souvent abolir l’espace pour s’unir à son autre moi, un étranger aurait facilement entendu le pas de cet homme dans l’escalier par lequel on descendait de la