Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/351

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pardonner qu’à toi la douleur que me cause ce cruel mécompte. J’allais peut-être décomposer l’azote. Va, retourne à tes affaires. » Balthazar rentra dans son laboratoire.

« J’allais peut-être décomposer l’azote ! » se dit la pauvre femme en revenant dans sa chambre où elle fondit en larmes.

Cette phrase était inintelligible pour elle. Les hommes, habitués par leur éducation à tout concevoir, ne savent pas ce qu’il y a d’horrible pour une femme à ne pouvoir comprendre la pensée de celui qu’elle aime. Plus indulgentes que nous ne le sommes, ces divines créatures ne nous disent pas quand le langage de leurs âmes reste incompris ; elles craignent de nous faire sentir la supériorité de leurs sentiments, et cachent alors leurs douleurs avec autant de joie qu’elles taisent leurs plaisirs méconnus ; mais plus ambitieuses en amour que nous ne le sommes, elles veulent épouser mieux que le cœur de l’homme, elles en veulent aussi toute la pensée. Pour Mme Claës, ne rien savoir de la Science dont s’occupait son mari, engendrait dans son âme un dépit plus violent que celui causé par la beauté d’une rivale. Une lutte de femme à femme laisse à celle qui aime le plus l’avantage d’aimer mieux, mais ce dépit accusait une impuissance et humiliait tous les sentiments qui nous aident à vivre. Joséphine ne savait pas !

Il se trouvait, pour elle, une situation où son ignorance la séparait de son mari. Enfin, dernière torture, et la plus vive, il était souvent entre la vie et la mort, il courait des dangers, loin d’elle et près d’elle, sans qu’elle les partageât, sans qu’elle les connût. C’était, comme l’enfer, une prison morale sans issue, sans espérance. Mme Claës voulut au moins connaître les attraits de cette science, et se mit à étudier en secret la chimie dans les livres. Cette famille fut alors comme cloîtrée.

Telles furent les transitions successives par lesquelles le malheur fit passer la Maison Claës, avant de l’amener à l’espèce de mort civile dont elle est frappée au moment où cette histoire commence.

Cette situation violente se compliqua. Comme toutes les femmes passionnées, Mme Claës était d’un désintéressement inouï. Ceux qui aiment véritablement savent combien l’argent est peu de chose auprès des sentiments, et avec quelle difficulté il s’y agrège. Néanmoins Joséphine n’apprit pas sans une cruelle émotion que son mari devait trois cent mille francs hypothéqués sur ses propriétés.

L’authenticité des contrats sanctionnait les inquiétudes, les bruits,