Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/355

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mieux. Le changement du train des Claës n’était pas justifiable dans un pays où, comme en Hollande, quiconque dépense tout son revenu passe pour un fou. Seulement, comme sa fille aînée, Marguerite, allait avoir seize ans, Joséphine parut vouloir lui faire faire une belle alliance, et la placer dans le monde, comme il convenait à une fille alliée aux Molina, aux Van Ostrom-Temninck, et aux Casa-Réal. Quelques jours avant celui pendant lequel commence cette histoire, l’argent des diamants était épuisé. Ce même jour, à trois heures, en conduisant ses enfants à vêpres, Mme Claës avait rencontré Pierquin qui venait la voir, et qui l’accompagna jusqu’à Saint-Pierre, en causant à voix basse sur sa situation.

« Ma cousine, dit-il, je ne saurais, sans manquer à l’amitié qui m’attache à votre famille, vous cacher le péril où vous êtes, et ne pas vous prier d’en conférer avec votre mari. Qui peut, si ce n’est vous, l’arrêter sur le bord de l’abîme où vous marchez. Les revenus des biens hypothéqués ne suffisent point à payer les intérêts des sommes empruntées ; ainsi vous êtes aujourd’hui sans aucun revenu. Si vous coupiez les bois que vous possédez, ce serait vous enlever la seule chance de salut qui vous restera dans l’avenir. Mon cousin Balthazar est en ce moment débiteur d’une somme de trente mille francs à la maison Protez et Chiffreville de Paris, avec quoi les payerez-vous, avec quoi vivrez-vous ? et que deviendrez-vous si Claës continue à demander des réactifs, des verreries, des piles de Volta et autres brimborions. Toute votre fortune, moins la maison et le mobilier, s’est dissipée en gaz et en charbon. Quand il a été question, avant-hier, d’hypothéquer sa maison, savez-vous quelle a été la réponse de Claës :

"Diable ! " Voilà depuis trois ans la première trace de raison qu’il ait donnée. » Mme Claës pressa douloureusement le bras de Pierquin, leva les yeux au ciel, et dit :

« Gardez-nous le secret. » Malgré sa piété, la pauvre femme, anéantie par ces paroles d’une clarté foudroyante, ne put prier, elle resta sur sa chaise entre ses enfants, ouvrit son paroissien et n’en tourna pas un feuillet ; elle était tombée dans une contemplation aussi absorbante que l’étaient les méditations de son mari.

L’honneur espagnol, la probité flamande résonnaient dans son âme d’une voix aussi puissante que celle de l’orgue. La ruine de ses enfants était consommée ! Entre eux et l’honneur de leur père, il ne fallait plus hésiter. La nécessité d’une lutte prochaine entre elle et son mari l’épouvantait ;