Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/366

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Savaron de Savarus la fait encore orgueilleusement servir à tournai chez lui, mais partout ailleurs la vieille Flandre s’en va.

Maintenant les meubles se fabriquent à la grecque, on n’aperçoit partout que casques, boucliers, lances et faisceaux. Chacun rebâtit sa maison, vend ses vieux meubles, refond son argenterie, ou la troque contre la porcelaine de Sèvres qui ne vaut ni le vieux Saxe ni les chinoiseries. Oh ! moi je suis Flamand dans l’âme. Aussi mon cœur saigne-t-il en voyant les chaudronniers acheter pour le prix du bois ou du métal nos beaux meubles incrustés de cuivre ou d’étain. Mais l’État social veut changer de peau, je crois. Il n’y a pas jusqu’aux procédés de l’art qui ne se perdent ! Quand il faut que tout aille vite, rien ne peut être consciencieusement fait. Pendant mon dernier voyage à Paris, l’on m’a mené voir les peintures exposées au Louvre. Ma parole d’honneur, c’est des écrans que ces toiles sans air, sans profondeur où les peintres craignent de mettre de la couleur. Et ils veulent, dit-on, renverser notre vieille école. Ah ! ouin ?…

— Nos anciens peintres, répondit Balthazar, étudiaient les diverses combinaisons et la résistance des couleurs, en les soumettant à l’action du soleil et de la pluie. Mais vous avez raison : aujourd’hui les ressources matérielles de l’art sont moins cultivées que jamais. » Mme Claës n’écoutait pas la conversation. En entendant dire au notaire que les services de porcelaine étaient à la mode, elle avait aussitôt conçu la lumineuse idée de vendre la pesante argenterie provenue de la succession de son frère, espérant ainsi pouvoir acquitter les trente mille francs dus par son mari.

« Ah ! ah ! disait Balthazar au notaire quand Mme Claës se remit à la conversation, l’on s’occupe de mes travaux à Douai ?

— Oui, répondit Pierquin, chacun se demande à quoi vous dépensez tant d’argent. Hier, j’entendais M. le premier président déplorer qu’un homme de votre sorte cherchât la pierre philosophale. Je me suis alors permis de répondre que vous étiez trop instruit pour ne pas savoir que c’était se mesurer avec l’impossible, trop chrétien pour croire l’emporter sur Dieu, et comme tous les Claës, trop bon calculateur pour changer votre argent contre de la poudre à Perlimpinpin. Néanmoins je vous avouerai que j’ai partagé les regrets que cause votre retraite à toute la société. Vous n’êtes vraiment plus de la ville. En vérité, madame, vous eussiez