Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/367

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été ravie si vous aviez pu entendre les éloges que chacun s’est plu à faire de vous et de M. Claës.

— Vous avez agi comme un bon parent en repoussant des imputations dont le moindre mal serait de me rendre ridicule, répondit Balthazar.

Ah ! les Douaisiens me croient ruiné ! Eh bien, mon cher Pierquin, dans deux mois je donnerai, pour célébrer l’anniversaire de mon mariage, une fête dont la magnificence me rendra l’estime que nos chers compatriotes accordent aux écus. » Mme Claës rougit fortement. Depuis deux ans cet anniversaire avait été oublié. Semblable à ces fous qui ont des moments pendant lesquels leurs facultés brillent d’un éclat inusité, jamais Balthazar n’avait été si spirituel dans sa tendresse. Il se montra plein d’attentions pour ses enfants, et sa conversation fut séduisante de grâce, d’esprit, d’à-propos. Ce retour de la paternité, absente depuis si longtemps, était certes la plus belle fête qu’il pût donner à sa femme pour qui sa parole et son regard avaient repris cette constante sympathie d’expression qui se sent de cœur à cœur et qui prouve une délicieuse identité de sentiment.

Le vieux Lemulquinier paraissait se rajeunir, il allait et venait avec une allégresse insolite causée par l’accomplissement de ses secrètes espérances.

Le changement si soudainement opéré dans les manières de son maître était encore plus significatif pour lui que pour Mme Claës. Là où la famille voyait le bonheur, le valet de chambre voyait une fortune. En aidant Balthazar dans ses manipulations, il en avait épousé la folie. Soit qu’il eût saisi la portée de ses recherches dans les explications qui échappaient au chimiste quand le but se reculait sous ses mains, soit que le penchant inné chez l’homme pour l’imitation lui eût fait adopter les idées de celui dans l’atmosphère duquel il vivait, Lemulquinier avait conçu pour son maître un sentiment superstitieux mêlé de terreur, d’admiration et d’égoïsme. Le laboratoire était pour lui ce qu’est pour le peuple un bureau de loterie, l’espoir organisé. Chaque soir il se couchait en se disant : « Demain, peut-être nagerons-nous dans l’or ! » Et le lendemain il se réveillait avec une foi toujours aussi vive que la veille. Son nom indiquait une origine toute flamande. Jadis les gens du peuple n’étaient connus que par un sobriquet tiré de leur profession, de leur pays, de leur conformation physique ou de leurs qualités morales. Ce sobriquet devenait le nom de la famille bourgeoise qu’ils fondaient lors de leur affranchissement. En Flandre, les marchands de fil de lin se nommaient