Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/370

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harmonie avec le calice dont les couleurs se distinguaient par cette brillante netteté qui donnait jadis tant de prix à ces fleurs fastueuses.

« Voilà pour trente ou quarante mille francs de tulipes », dit le notaire en regardant alternativement sa cousine et le buisson aux mille couleurs.

Mme Claës était trop enthousiasmée par l’aspect de ces fleurs que les rayons du soleil couchant faisaient ressembler à des pierreries, pour bien saisir le sens de l’observation notariale.

« À quoi cela sert-il, reprit le notaire en s’adressant à Balthazar, vous devriez les vendre.

— Bah ! ai-je donc besoin d’argent ! » répondit Claës en faisant le geste d’un homme à qui quarante mille francs semblaient être peu de chose.

Il y eut un moment de silence pendant lequel les enfants firent plusieurs exclamations.

« Vois donc, maman, celle-là.

— Oh ! qu’en voilà une belle !

— Comment celle-ci se nomme-t-elle ?

— Quel abîme pour la raison humaine, s’écria Balthazar en levant les mains et les joignant par un geste désespéré. Une combinaison d’hydrogène et d’oxygène fait surgir par ses dosages différents, dans un même milieu et d’un même principe, ces couleurs qui constituent chacune un résultat différent. » Sa femme entendait bien les termes de cette proposition, qui fut trop rapidement énoncée pour qu’elle la conçût entièrement, Balthazar songea qu’elle avait étudié sa Science favorite, et lui dit, en lui faisant un signe mystérieux : « Tu comprendrais, tu ne saurais pas encore ce que je veux dire ! » Et il parut retomber dans une de ces méditations qui lui étaient habituelles.

« Je le crois », dit Pierquin en prenant une tasse de café des mains de Marguerite. « Chassez le naturel, il revient au galop, ajouta-t-il tout bas en s’adressant à Mme Claës. Vous aurez la bonté de lui parler vous-même, le diable ne le tirerait pas de sa contemplation. En voilà pour jusqu’à demain. » Il dit adieu à Claës qui feignit de ne pas l’entendre, embrassa le petit Jean que la mère tenait dans ses bras, et, après avoir fait une profonde salutation, il se retira. Lorsque la porte d’entrée retentit en se fermant, Balthazar saisit sa femme par la taille, et dissipa l’inquiétude que pouvait lui donner sa feinte rêverie en lui