Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/374

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ce gentilhomme polonais se nommait M. Adam de Wierzchownia, reprit Balthazar. Quand le soir tu nous eus laissés seuls dans le parloir, nous nous sommes mis par hasard à causer chimie. Arraché par la misère à l’étude de cette science, il s’était fait soldat. Je crois que ce fut à l’occasion d’un verre d’eau sucrée que nous nous reconnûmes pour adeptes. Lorsque j’eus dit à Mulquinier d’apporter du sucre en morceaux, le capitaine fit un geste de surprise. "Vous avez étudié la chimie, me demanda-t-il. ─ Avec Lavoisier, lui répondis-je. Vous êtes bien heureux d’être libre et riche ! " s’écria-t-il. Et il sortit de sa poitrine un de ces soupirs d’homme qui révèlent un enfer de douleurs caché sous un crâne ou enfermé dans un cœur, enfin ce fut quelque chose d’ardent, de concentré que la parole n’exprime pas. Il acheva sa pensée par un regard qui me glaça. Après une pause, il me dit que la Pologne quasi morte, il s’était réfugié en Suède. Il avait cherché là des consolations dans l’étude de la chimie pour laquelle il s’était toujours senti une irrésistible vocation. "Eh bien, ajouta-t-il, je le vois, vous avez reconnu comme moi, que la gomme arabique, le sucre et l’amidon mis en poudre, donnent une substance absolument semblable, et à l’analyse un même résultat qualitatif." Il fit encore une pause, et après m’avoir examiné d’un œil scrutateur, il me dit confidentiellement et à voix basse de solennelles paroles dont, aujourd’hui, le sens général est seul resté dans ma mémoire ; mais il les accompagna d’une puissance de son, de chaudes inflexions et d’une force dans le geste qui me remuèrent les entrailles et frappèrent mon entendement comme un marteau bat le fer sur une enclume. Voici donc en abrégé ces raisonnements qui furent pour moi le charbon que Dieu mit sur la langue d’lsaïe, car mes études chez Lavoisier me permettaient d’en sentir toute la portée. « Monsieur, me dit-il, la parité de ces trois substances, en apparence si distinctes, m’a conduit à penser que toutes les productions de la nature devaient avoir un même principe. Les travaux de la chimie moderne ont prouvé la vérité de cette loi, pour la partie la plus considérable des effets naturels. La chimie divise la création en deux portions distinctes : la nature organique, la nature inorganique. En comprenant toutes les créations végétales ou animales dans lesquelles se montre une organisation plus ou moins perfectionnée, ou, pour être plus exact, une plus ou moins grande motilité qui y détermine plus ou moins de sentiment, la nature