Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/381

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ami, s’écria-t-elle, cesse un moment tes recherches, économisons l’argent nécessaire à ce qu’il te faudra pour les reprendre plus tard, si tu ne peux renoncer à poursuivre ton œuvre. Oh ! je ne la juge pas, je soufflerai tes fourneaux, si tu le veux ; mais ne réduis pas nos enfants à la misère, tu ne peux plus les aimer, la Science a dévoré ton cœur, ne leur lègue pas une vie malheureuse en échange du bonheur que tu leur devais. Le sentiment maternel été trop souvent le plus faible dans mon cœur, oui, j’ai souvent souhaité ne pas être mère afin de pouvoir m’unir plus intimement à ton âme, à ta vie ! aussi, pour étouffer mes remords, dois-je plaider auprès de toi la cause de tes enfants avant la mienne. » Ses cheveux s’étaient déroulés et flottaient sur ses épaules, ses yeux dardaient mille sentiments comme autant de flèches, elle triompha de sa rivale, Balthazar l’enleva, la porta sur le canapé, se mit à ses pieds.

« Je t’ai donc causé des chagrins, lui dit-il avec l’accent d’un homme qui se réveillerait d’un songe pénible.

— Pauvre Claës, tu nous en donneras encore malgré toi, dit-elle en lui passant sa main dans les cheveux. Allons, viens t’asseoir près de moi, dit-elle en lui montrant sa place sur le canapé.

Tiens, j’ai tout oublié, puisque tu nous reviens.

Va, mon ami, nous réparerons tout mais tu ne t’éloigneras plus de ta femme, n’est-ce pas ? Dis oui ? Laisse-moi, mon grand et beau Claës, exercer sur ton noble cœur cette influence féminine si nécessaire au bonheur des artistes malheureux, des grands hommes souffrants ! Tu me brusqueras, tu me briseras si tu veux mais tu me permettras de te contrarier un peu pour ton bien. Je n’abuserai jamais du pouvoir que tu me concéderas. Sois célèbre, mais sois heureux aussi. Ne nous préfère pas la Chimie. Écoute, nous serons bien complaisants, nous permettrons à la Science d’entrer avec nous dans le partage de ton cœur ; mais sois juste, donne-nous bien notre moitié ?

Dis, mon désintéressement n’est-il pas sublime ? » Elle fit sourire Balthazar. Avec cet art merveilleux que possèdent les femmes, elle avait amené la plus haute question dans le domaine de la plaisanterie où les femmes sont maîtresses. Cependant quoiqu’elle parût rire, son cœur était si violemment contracté qu’il reprenait difficilement le mouvement égal et doux de son état habituel ; mais en voyant renaître dans les yeux de Balthazar l’expression qui la charmait, qui était sa gloire à elle, et lui révélait l’entière