Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/397

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la Belgique, il s’était fixé près de Mme Claës. Dès sa jeunesse, l’abbé de Solis avait professé pour sainte Thérèse un enthousiasme qui le conduisit autant que la pente de son esprit vers la partie mystique du christianisme. En trouvant, en Flandre, où Mlle Bourignon, ainsi que les écrivains illuminés et quiétistes, firent le plus de prosélytes, un troupeau de catholiques adonnés à ses croyances, il y resta d’autant plus volontiers qu’il y fut considéré comme un patriarche par cette Communion particulière où l’on continue à suivre les doctrines des Mystiques, malgré les censures qui frappèrent Fénelon et Mme Guyon. Ses mœurs étaient rigides, sa vie était exemplaire, et il passait pour avoir des extases. Malgré le détachement qu’un religieux si sévère devait pratiquer pour les choses de ce monde, l’affection qu’il portait à son neveu le rendait soigneux de ses intérêts. Quand il s’agissait d’une œuvre de charité, le vieillard mettait à contribution les fidèles de son église avant d’avoir recours à sa propre fortune, et son autorité patriarcale était si bien reconnue, ses intentions étaient si pures, sa perspicacité si rarement en défaut que chacun faisait honneur à ses demandes. Pour avoir une idée du contraste qui existait entre l’oncle et le neveu, il faudrait comparer le vieillard à l’un de ces saules creux qui végètent au bord des eaux, et le jeune homme à l’églantier chargé de roses dont la tige élégante et droite s’élance du sein de l’arbre moussu, qu’il semble vouloir redresser.

Sévèrement élevé par son oncle, qui le gardait près de lui comme une matrone garde une vierge, Emmanuel était plein de cette chatouilleuse sensibilité, de cette candeur à demi rêveuse, fleurs passagères de toutes les jeunesses, mais vivaces dans les âmes nourries de religieux principes. Le vieux prêtre avait comprimé l’expression des sentiments voluptueux chez son élève, en le préparant aux souffrances de la vie par des travaux continus, par une discipline presque claustrale. Cette éducation, qui devait livrer Emmanuel tout neuf au monde, et le rendre heureux s’il rencontrait bien dans ses premières affections, l’avait revêtu d’une angélique pureté qui communiquait à sa personne le charme dont sont investies les jeunes filles. Ses yeux timides, mais doublés d’une âme forte et courageuse, jetaient une lumière qui vibrait dans l’âme comme le son du cristal épand ses ondulations dans l’ouïe. Sa figure expressive, quoique régulière, se recommandait par une grande précision dans les contours, par l’heureuse disposition des lignes,