Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/415

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cette malice de province. Pierquin avait déjà vu dans la mort de Mme Claës un événement favorable à ses prétentions, et il dépeçait déjà ce cadavre à son profit.

« Cette bonne femme-là, se dit-il en rentrant chez lui pour se coucher, était fière comme un paon, et ne m’aurait jamais donné sa fille. Hé ! hé !

pourquoi ne manœuvrerais-je pas maintenant de manière à l’épouser ? Le père Claës est un homme ivre de carbone qui ne se soucie plus de ses enfants ; si je lui demande sa fille, après avoir convaincu Marguerite de l’urgence où elle est de se marier pour sauver la fortune de ses frères et de sa sœur, il sera content de se débarrasser d’une enfant qui peut le tracasser. » Il s’endormit en entrevoyant les beautés matrimoniales du contrat, en méditant tous les avantages que lui offrait cette affaire, et les garanties qu’il trouvait pour son bonheur dans la personne dont il se faisait l’époux. Il était difficile de rencontrer dans la province une jeune personne plus délicatement belle et mieux élevée que ne l’était Marguerite. sa modestie, sa grâce étaient comparables à celles de la jolie fleur qu’Emmanuel n’avait osé nommer devant elle, en craignant de découvrir ainsi les vœux secrets de son cœur. Ses sentiments étaient fiers, ses, principes étaient religieux, elle devait être une chaste épouse ; mais elle ne flattait pas seulement la vanité que tout homme porte plus ou moins dans le choix d’une femme, elle satisfaisait encore l’orgueil du notaire par l’immense considération dont sa famille, doublement noble, jouissait en Flandre, et que partagerait son mari. Le lendemain, Pierquin tira de sa caisse quelques billets de mille francs et vint amicalement les offrir à Balthazar, afin de lui éviter des ennuis pécuniaires au moment où il était plongé dans la douleur. Touché de cette attention délicate, Balthazar ferait sans doute à sa fille l’éloge du cœur et de la personne du notaire. Il n’en fut rien.

M. Claës et sa fille trouvèrent cette action toute simple, et leur souffrance était trop exclusive pour qu’ils pensassent à Pierquin. En effet, le désespoir de Balthazar fut si grand, que les personnes disposées à blâmer sa conduite la lui pardonnèrent, moins au nom de la science qui pouvait l’excuser, qu’en faveur de ses regrets qui ne réparaient point le mal. Le monde se contente de grimaces, il se paie de ce qu’il donne, sans en vérifier l’aloi ; pour lui, la vraie douleur est un spectacle, une sorte de jouissance qui le dispose à tout absoudre, même un criminel ; dans son avidité d’émotions, il acquitte sans