Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/417

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

montra naïf, ce fut elle qui usa de dissimulation, précisément parce qu’il croyait agir contre une fille sans défense, et qu’il méconnut les priviléges de la faiblesse.

« Ma chère cousine, dit-il à Marguerite avec laquelle il se promenait dans les allées du petit jardin, vous connaissez mon cœur et vous savez combien je suis porté à respecter les sentiments douloureux qui vous affectent en ce moment. J’ai l’âme trop sensible pour être notaire, je ne vis que par le cœur et je suis obligé de m’occuper constamment des intérêts d’autrui, quand je voudrais me laisser aller aux émotions douces qui font la vie heureuse. Aussi souffré-je beaucoup d’être forcé de vous parler de projets discordants avec l’état de votre âme, mais il le faut. J’ai beaucoup pensé à vous depuis quelques jours. Je viens de reconnaître que, par une fatalité singulière, la fortune de vos frères et de votre sœur, la vôtre même, sont en danger. Voulez-vous sauver votre famille d’une ruine complète ?

— Que faudrait-il faire ? dit-elle effrayée à demi par ces paroles.

— Vous marier, répondit Pierquin.

— Je ne me marierai point, s’écria-t-elle.

— Vous vous marierez, reprit le notaire, quand vous aurez réfléchi mûrement à la situation critique dans laquelle vous êtes…

— Comment mon mariage peut-il sauver…

— Voilà où je vous attendais, ma cousine, dit-il en l’interrompant. Le mariage émancipe !

— Pourquoi m’émanciperait-on ? dit Marguerite.

— Pour vous mettre en possession, ma chère petite cousine, dit le notaire d’un air de triomphe.

Dans cette occurrence, vous prenez votre quart dans la fortune de votre mère. Pour vous le donner, il faut la liquider ; or, pour la liquider ne faudra-t-il pas liciter la forêt de Waignies ? Cela posé, toutes les valeurs de la succession se capitaliseront, et votre père sera tenu, comme tuteur, de placer la part de vos frères et de votre sœur, en sorte que la Chimie ne pourra plus y toucher.

— Dans le cas contraire, qu’arriverait-il ? demanda-t-elle.

— Mais, dit le notaire, votre père administrera vos biens. s’il se remettait à vouloir faire de l’or, il pourrait vendre le bois de Waignies et vous laisser nus comme des petits saint Jean. La forêt de Waignies vaut en ce moment près de quatorze cent mille francs ; mais, qu’aujourd’hui pour demain, votre père la coupe à blanc,