Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/431

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« Parlez devant ma sœur, dit Marguerite. Elle n’a pas besoin de cette discussion pour se résigner à notre vie de privations et de travail, elle est si douce et si courageuse ! Mais elle doit connaître combien le courage nous est nécessaire. » Les deux sœurs se prirent la main, et s’embrassèrent comme pour se donner un nouveau gage de leur union devant le malheur.

« Laissez-nous, Martha.

— Chère Marguerite, reprit Emmanuel en laissant percer dans l’inflexion de sa voix le bonheur qu’il éprouvait à conquérir les menus droits de l’affection ; je me suis procuré les noms et la demeure des acquéreurs qui doivent les deux cent mille francs restant sur le prix des bois abattus. Demain, si vous y consentez, un avoué agissant au nom de M. Conyncks, qui ne le désavouera pas, mettra opposition entre leurs mains. Dans six jours, votre grand-oncle sera de retour, il convoquera un conseil de famille, et fera émanciper Gabriel, qui a dix-huit ans. Étant, vous et votre frère, autorisés à exercer vos droits, vous demanderez votre part dans le prix des bois, M. Claës ne pourra pas vous refuser les deux cent mille francs arrêtés par l’opposition ; quant aux cent mille autres qui vous seront encore dus, vous obtiendrez une obligation hypothécaire qui reposera sur la maison que vous habitez. M. Conyncks réclamera des garanties pour les trois cent mille francs qui reviennent à Mlle Félicie et à Jean. Dans cette situation, votre père sera forcé de laisser hypothéquer ses biens de la plaine d’orchies, déjà grevés de cent mille écus. La loi donne une priorité rétroactive aux inscriptions prises dans l’intérêt des mineurs, tout sera donc sauvé. M. Claës aura désormais les mains liées, vos terres sont inaliénables ; il ne pourra plus rien emprunter sur les siennes, qui répondront de sommes supérieures à leur prix, les affaires se seront faites en famille, sans scandale, sans procès. Votre père sera forcé d’aller prudemment dans ses recherches, si même il ne les cesse tout à fait.

— Oui, dit Marguerite, mais où seront nos revenus ? Les cent mille francs hypothéqués sur cette maison ne nous rapporteront rien, puisque nous y demeurons. Le produit des biens que possède mon père dans la plaine d’orchies payera les intérêts des trois cent mille francs dus à des étrangers ; avec quoi vivrons-nous ?

— D’abord, dit Emmanuel, en plaçant les cinquante mille francs qui resteront à Gabriel sur sa part, dans les fonds publics,