Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/439

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

précautions que je n’aurais pas avouées de mon vivant. Oui, j’aurai gardé dans le fond de mon cercueil une dernière ressource pour le jour où vous serez au plus haut degré du malheur. S’il vous a réduits à l’indigence, ou s’il faut sauver votre honneur, mon enfant, tu trouveras chez M. de Solis, s’il vit encore, sinon chez son neveu, notre bon Emmanuel, cent soixante-dix mille francs environ, qui vous aideront à vivre. Si rien n’a pu dompter sa passion, si ses enfants ne sont pas une barrière plus forte pour lui que ne l’a été mon bonheur, et ne l’arrêtent pas dans sa marche criminelle, quittez votre père, vivez au moins ! Je ne pouvais l’abandonner, je me devais à lui. Toi, Marguerite, sauve la famille ! Je t’absous de tout ce que tu feras pour défendre Gabriel, Jean et Félicie. Prends courage, sois l’ange tutélaire des Claës. Sois ferme, je n’ose dire sois sans pitié ; mais pour pouvoir réparer les malheurs déjà faits, il faut conserver quelque fortune, et tu dois te considérer comme étant au lendemain de la misère, rien n’arrêtera la fureur de la passion qui m’a tout ravi. Ainsi, ma fille, ce sera être pleine de cœur que d’oublier ton cœur ; ta dissimulation, s’il fallait mentir à ton père, serait glorieuse ; tes actions, quelque blâmables qu’elles puissent paraître, seraient toutes héroïques faites dans le but de protéger la famille. Le vertueux M. de Solis me l’a dit, et jamais conscience ne fut ni plus pure ni plus clairvoyante que la sienne. Je n’aurais pas eu la force de te dire ces paroles, même en mourant. Cependant sois toujours respectueuse et bonne dans cette horrible lutte ! Résiste en adorant, refuse avec douceur. J’aurai donc eu des larmes inconnues et des douleurs qui n’éclateront qu’après ma mort. Embrasse, en mon nom, mes chers enfants, au moment où tu deviendras ainsi leur protection. Que Dieu et les saints soient avec toi.


« JOSÉPHINE. »


À cette lettre était jointe une reconnaissance de MM. de Solis oncle et neveu, qui s’engageaient à remettre le dépôt fait entre leurs mains par Mme Claës à celui de ses enfants qui leur représenterait cet écrit.

« Martha, cria Marguerite à la duègne qui monta promptement, allez chez M. Emmanuel et priez-le de passer chez moi. » « Noble et discrète créature !

il ne m’a jamais rien dit, à moi,