Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/443

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Balthazar qui ne comprit pas le sens que sa fille mettait à ce mot.

— Ah ! ma chère fille, dit-il, tu me sauves la vie !

J’ai imaginé une dernière expérience, après laquelle il n’y a plus rien de possible. Si, cette fois, je ne le trouve pas, il faudra renoncer à chercher l’Absolu. Donne-moi le bras, viens, mon enfant chérie, je voudrais te faire la femme la plus heureuse de la terre, tu me rends au bonheur, à la gloire ; tu me procures le pouvoir de vous combler de trésors, je vous accablerai de joyaux, de richesses. » Il baisa sa fille au front, lui prit les mains, les serra, lui témoigna sa joie par des câlineries qui parurent presque serviles à Marguerite ; pendant le dîner Balthazar ne voyait qu’elle, il la regardait avec l’empressement, avec l’attention, la vivacité qu’un amant déploie pour sa maîtresse : faisait-elle un mouvement ? il cherchait à deviner sa pensée, son désir, et se levait pour la servir ; il la rendait honteuse, il mettait à ses soins une sorte de jeunesse qui contrastait avec sa vieillesse anticipée.

Mais, à ces cajoleries Marguerite opposait le tableau de la détresse actuelle, soit par un mot de doute, soit par un regard qu’elle jetait sur les rayons vides des dressoirs de cette salle à manger.

« Va, lui dit-il, dans six mois, nous remplirons ça d’or et de merveilles. Tu seras comme une reine.

Bah ! la nature entière nous appartiendra, nous serons au-dessus de tout… et par toi… ma Marguerite. Margarita ? reprit-il en souriant, ton nom est une prophétie. Margarita veut dire une perle.

Sterne a dit cela quelque part. As-tu lu Sterne ? veux-tu un Sterne ? ça t’amusera.

— La perle est, dit-on, le fruit d’une maladie, reprit-elle, et nous avons déjà bien souffert !

— Ne sois pas triste, tu feras le bonheur de ceux que tu aimes, tu seras bien puissante, bien riche.

— Mademoiselle a si bon cœur », dit Lemulquinier dont la face en écumoire grimaça péniblement un sourire.

Pendant le reste de la soirée, Balthazar déploya pour ses deux filles toutes les grâces de son caractère et tout le charme de sa conversation.

Séduisant comme le serpent, sa parole, ses regards épanchaient un fluide magnétique, et il prodigua cette puissance de génie, ce doux esprit qui fascinait Joséphine, et il mit pour ainsi dire ses filles dans son cœur. Quand Emmanuel de Solis vint, il trouva, pour la première fois depuis longtemps, le père