Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
LA PEAU DE CHAGRIN

tranchaient sur un teint d’une vive blancheur ; ses cheveux bruns faisaient assez bien valoir la couleur orangée de ses yeux mêlés de veines comme une pierre de Florence, et dont l’expression semblait ajouter de la finesse à ses paroles ; son corsage était paré des grâces les plus attrayantes. Une rivale aurait peut-être accusé de dureté ses épais sourcils qui paraissaient se rejoindre, et blâmé l’imperceptible duvet qui ornait les contours de son visage. Je trouvai la passion empreinte en tout. L’amour était écrit sur ses paupières italiennes, sur ses belles épaules dignes de la Vénus de Milo, dans ses traits, sur sa lèvre supérieure un peu forte et légèrement ombragée. Cette femme était un roman : ces richesses féminines, l’ensemble harmonieux des lignes, les promesses que cette riche structure faisait à la passion, étaient tempérés par une réserve constante, par une modestie extraordinaire, qui contrastaient avec l’expression de toute la personne. Il fallait une observation aussi sagace que la mienne pour découvrir dans cette nature les signes d’une destinée de volupté. Pour expliquer plus clairement ma pensée, il y avait en elle deux femmes séparées par le buste peut-être : l’une était froide, la tête seule semblait être amoureuse. Avant d’arrêter ses yeux sur un homme, elle préparait son regard, comme s’il se passait je ne sais quoi de mystérieux en elle-même : vous eussiez dit une convulsion dans ses yeux si brillants. Enfin, ou ma science était imparfaite, et j’avais encore bien des secrets à découvrir dans le monde moral, ou la comtesse possédait une belle âme dont les sentiments et les émanations communiquaient à sa physionomie ce charme qui nous subjugue et nous fascine, ascendant tout moral et d’autant plus puissant qu’il s’accorde avec les sympathies du désir. Je sortis ravi, séduit par cette femme, enivré par son luxe, chatouillé dans tout ce que mon cœur avait de noble, de vicieux, de bon, de mauvais. En me sentant si ému, si vivant, si exalté, je crus comprendre l’attrait qui amenait là ces artistes, ces diplomates, ces hommes de pouvoir, ces agioteurs doublés de tôle comme leurs caisses. Sans doute ils venaient chercher près d’elle l’émotion délirante qui faisait vibrer en moi toutes les forces de mon être, fouettait mon sang dans la moindre veine, agaçait le plus petit nerf et tressaillait dans mon cerveau ! Elle ne s’était donnée à aucun pour les garder tous. Une femme est coquette tant qu’elle n’aime pas. — Puis, dis-je à Rastignac, elle a peut-être été mariée ou vendue à quelque vieillard,