Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


bonnes grâces pour le trahir ; tous parlaient de m’en séparer, aucun ne comprenait le culte que j’ai voué à cette âme, qui n’est si loin de nous que parce qu’elle est près du ciel, à cet ami, à ce frère que je veux toujours servir. Vous seul avez compris le lien qui m’attache à lui, n’est-ce pas ? Dites-moi que vous vous êtes pris pour mon Paul d’un intérêt sincère et sans arrière-pensée…

— J’accepte ces éloges, interrompit Andrea ; mais n’allez pas plus loin, ne me forcez pas de vous démentir. Je vous aime, Marianna, comme on aime dans ce beau pays où nous sommes nés l’un et l’autre ; je vous aime de toute mon âme et de toutes mes forces, mais avant de vous offrir cet amour, je veux me rendre digne du vôtre. Je tenterai un dernier effort pour vous rendre l’homme que vous aimez depuis l’enfance, l’homme que vous aimerez toujours. En attendant le succès ou la défaite, acceptez sans rougir l’aisance que je veux vous donner à tous deux, demain nous irons ensemble choisir un logement pour lui. M’estimez-vous assez pour m’associer aux fonctions de votre tutelle.

Marianna, étonnée de cette générosité, tendit la main au comte, qui sortit en s’efforçant d’échapper aux civilités du signor Giardini et de sa femme.

Le lendemain, le comte fut introduit par Giardini dans l’appartement des deux époux. Quoique l’esprit élevé de son amant lui fût déjà connu, car il est certaines âmes qui se pénètrent promptement, Marianna était trop bonne femme de ménage pour ne pas laisser percer l’embarras qu’elle éprouvait à recevoir un si grand seigneur dans une si pauvre chambre. Tout y était fort propre. Elle avait passé la matinée entière à épousseter son étrange mobilier, œuvre du signor Giardini, qui l’avait construit à ses moments de loisir avec les débris des instruments rebutés par Gambara. Andrea n’avait jamais rien vu de si extravagant. Pour se maintenir dans une gravité convenable, il cessa de regarder un lit grotesque pratiqué par le malicieux cuisinier dans la caisse d’un vieux clavecin, et reporta ses yeux sur le lit de Marianna, étroite couchette dont l’unique matelas était couvert d’une mousseline blanche, aspect qui lui inspira des pensées tout à la fois tristes et douces. Il voulut parler de ses projets et de l’emploi de la matinée, mais l’enthousiaste Gambara, croyant avoir enfin rencontré un bénévole auditeur, s’empara du comte et le contraignit d’écouter l’opéra qu’il avait écrit pour Paris.