Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/109

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comme un Dieu sans le juger, et sans un murmure. Pauvre femme, la première dupe et la première victime ! Quel thème pour le finale (si majeur) que cette douleur, brodée en couleurs si brunes sur le fond des acclamations du chœur, et mariée aux accents de Mahomet abandonnant sa femme comme un instrument inutile, mais faisant voir qu’il ne l’oubliera jamais ! Quelles triomphantes girandoles, quelles fusées de chants joyeux et perlés élancent les deux jeunes voix (primo et secondo soprano) d’Aiesha et d’Hafsa, soutenus par Ali et sa femme, par Omar et Aboubecker ! Pleurez, réjouissez-vous ! Triomphes et larmes ! Voilà la vie.

Marianna ne put retenir ses pleurs. Andrea fut tellement ému, que ses yeux s’humectèrent légèrement. Le cuisinier napolitain qu’ébranla la communication magnétique des idées exprimées par les spasmes de la voix de Gambara, s’unit à cette émotion. Le musicien se retourna, vit ce groupe et sourit.

— Vous me comprenez enfin ! s’écria-t-il.

Jamais triomphateur mené pompeusement au Capitole, dans les rayons pourpres de la gloire, aux acclamations de tout un peuple, n’eut pareille expression en sentant poser la couronne sur sa tête. Le visage du musicien étincelait comme celui d’un saint martyr. Personne ne dissipa cette erreur. Un horrible sourire effleura les lèvres de Marianna. Le comte fut épouvanté par la naïveté de cette folie.

— TROISIEME ACTE ! dit l’heureux compositeur en se rasseyant au piano. (Andantino solo). Mahomet malheureux dans son sérail, entouré de femmes. Quatuor de houris (en la majeur). Quelles pompes ! quels chants de rossignols heureux ! Modulations (fa dièse mineur). Le thème se représente (sur la dominante mi pour reprendre en la majeur). Les voluptés se groupent et se dessinent afin de produire leur opposition au sombre finale du premier acte. Après les danses, Mahomet se lève et chante un grand air de bravoure (fa mineur) pour regretter l’amour unique et dévoué de sa première femme en s’avouant vaincu par la polygamie. Jamais musicien n’a eu pareil thème. L’orchestre et le cœur [Lire « chœur ».] des femmes expriment les joies des houris, tandis que Mahomet revient à la mélancolie qui a ouvert l’opéra.

— Où est Beethoven, s’écria Gambara, pour que je sois bien compris dans ce retour prodigieux de tout l’opéra sur lui-même. Comme tout s’est appuyé sur la basse ! Beethoven n’a pas construit