Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/11

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hymne d’amour comme en chantaient les oiseaux nichés dans les arbres. Au retour, le jeune homme, dont la situation ne peut se peindre qu’en le comparant à ces anges auxquels les peintres ne donnent qu’une tête et des ailes, s’était senti si violemment amoureux qu’il avait mis en doute l’entier dévouement de la duchesse, afin de l’amener à dire : « Quelle preuve en veux-tu ? » Ce mot avait été jeté d’un air royal, et Memmi baisait avec ardeur cette belle main ignorante. Tout à coup, il se leva furieux contre lui-même, et laissa Massimilla. La duchesse resta dans sa pose nonchalante sur le sopha, mais elle y pleura, se demandant en quoi, belle et jeune, elle déplaisait à Emilio. De son côté, le pauvre Memmi donnait de la tête contre les arbres comme une corneille coiffée. Un valet cherchait en ce moment le jeune Vénitien, et courait après lui pour lui donner une lettre arrivée par un exprès.

Marco Vendramini, nom qui dans le dialecte vénitien, où se suppriment certaines finales, se prononce également Vendramin, son seul ami lui apprenait que Marco Facino Cane, prince de Varèse, était mort dans un hôpital de Paris. La preuve du décès était arrivée. Ainsi les Cane Memmi devenaient princes de Varèse. Aux yeux des deux amis, un titre sans argent ne signifiant rien, Vendramin annonçait à Emilio comme une nouvelle beaucoup plus importante, l’engagement à la Fenice du fameux ténor Genovese, et de la célèbre signora Tinti. Sans achever la lettre, qu’il mit dans sa poche en la froissant, Emilio courut annoncer à la duchesse Cataneo la grande nouvelle, en oubliant son héritage héraldique. La duchesse ignorait la singulière histoire qui recommandait la Tinti à la curiosité de l’Italie, le prince la lui dit en quelques mots. Cette illustre cantatrice était une simple servante d’auberge, dont la voix merveilleuse avait surpris un grand seigneur sicilien en voyage. La beauté de cette enfant, qui avait alors douze ans, s’étant trouvée digne de la voix, le grand seigneur avait eu la constance de faire élever cette petite personne comme Louis XV fit jadis élever mademoiselle de Romans. Il avait attendu patiemment que la voix de Clara fût exercée par un fameux professeur, et qu’elle eût seize ans pour jouir de tous les trésors si laborieusement cultivés. En débutant l’année dernière, la Tinti avait ravi les trois capitales de l’Italie les plus difficiles à satisfaire.

— Je suis bien sûre que le grand seigneur n’est pas mon mari, dit la duchesse.