Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/119

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musical, dit négligemment Gambara qui se mit devant le piano d’Andrea, fit résonner les touches, écouta le son, s’assit et parut penser pendant quelques instants, comme pour résumer ses propres idées.

— Et d’abord sachez, reprit-il, qu’une oreille intelligente comme la mienne a reconnu le travail de sertisseur dont vous parlez. Oui, cette musique est choisie avec amour, mais dans les trésors d’une imagination riche et féconde où la science a pressé les idées pour en extraire l’essence musicale. Je vais vous expliquer ce travail.

Il se leva pour mettre les bougies dans la pièce voisine, et avant de se rasseoir, il but un plein verre de vin de Giro, vin de Sardaigne qui recèle autant de feu que les vieux vins de Tokai en allument.

— Voyez-vous, dit Gambara, cette musique n’est faite ni pour les incrédules ni pour ceux qui n’aiment point. Si vous n’avez pas éprouvé dans votre vie les vigoureuses atteintes d’un esprit mauvais qui dérange le but quand vous le visez, qui donne une fin triste aux plus belles espérances ; en un mot, si vous n’avez jamais aperçu la queue du diable frétillant en ce monde, l’opéra de Robert sera pour vous ce qu’est l’Apocalypse pour ceux qui croient que tout finit avec eux. Si, malheureux et persécuté, vous comprenez le génie du mal, ce grand singe qui détruit à tout moment l’œuvre de Dieu, si vous l’imaginez ayant non pas aimé, mais violé une femme presque divine, et remportant de cet amour les joies de la paternité, au point de mieux aimer son fils [On attendrait plutôt « aimer voir son fils ».] éternellement malheureux avec lui, que de le savoir éternellement heureux avec Dieu ; si vous imaginez enfin l’âme de la mère planant sur la tête de son fils pour l’arracher aux horribles séductions paternelles, vous n’aurez encore qu’une faible idée de cet immense poëme auquel il manque peu de chose pour rivaliser avec le Don Juan de Mozart. Don Juan est au-dessus par sa perfection ; je l’accorde ; Robert-le-Diable représente des idées, Don Juan excite des sensations. Don Juan est encore la seule œuvre musicale où l’harmonie et la mélodie soient en proportions exactes ; là seulement est le secret de sa supériorité sur Robert, car Robert est plus abondant. Mais à quoi sert cette comparaison, si ces deux œuvres sont belles de leurs beautés propres ? Pour moi, qui gémis sous les coups réitérés du démon, Robert m’a parlé plus énergique-