Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/123

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l’incandescence de sa face, que l’exécution passionnée et merveilleuse de l’opéra de Meyerbeer avait fait légèrement pâlir.

— Pour que rien ne manque à cette composition, reprit-il, le grand artiste nous a largement donné le seul duo bouffe que pût se permettre un démon, la séduction d’un pauvre trouvère. Il a mis la plaisanterie à côté de l’horreur, une plaisanterie où s’abîme la seule réalité qui se montre dans la sublime fantaisie de son œuvre : les amours pures et tranquilles d’Alice et de Raimbaut, leur vie sera troublée par une vengeance anticipée ; les âmes grandes peuvent seules sentir la noblesse qui anime ces airs bouffes, vous n’y trouvez ni le papillotage trop abondant de notre musique italienne, ni le commun des ponts-neufs français. C’est quelque chose de la majesté de l’Olympe. Il y a le rire amer d’une divinité opposé à la surprise d’un trouvère qui se donjuanise. Sans cette grandeur, nous serions revenus trop brusquement à la couleur générale de l’opéra, empreinte dans cette horrible rage en septièmes diminuées qui se résout en une valse infernale et nous met enfin face à face avec les démons. Avec quelle vigueur le couplet de Bertram se détache en si mineur sur le chœur des enfers, en nous peignant la paternité mêlée à ces chants démoniaques par un désespoir affreux ! Quelle ravissante transition que l’arrivée d’Alice sur la ritournelle en si bémol ! J’entends encore ces chants angéliques de fraîcheur, n’est-ce pas le rossignol après l’orage ? La grande pensée de l’ensemble se retrouve ainsi dans les détails, car que pourrait-on opposer à cette agitation des démons grouillants dans leur trou, si ce n’est l’air merveilleux d’Alice :

Quand j’ai quitté la Normandie !

Le fil d’or de la mélodie court toujours le long de la puissante harmonie comme un espoir céleste, elle la brode, et avec quelle profonde habileté ! Jamais le génie ne lâche la science qui le guide. Ici le chant d’Alice se trouve en si bémol et se rattache au fa dièse, la dominante du chœur infernal. Entendez-vous le tremolo de l’orchestre ? on demande Robert dans le cénacle des démons. Bertram rentre sur la scène, et là se trouve le point culminant de l’intérêt musical, un récitatif comparable à ce que les grands maîtres ont inventé de plus grandiose, la chaude lutte en mi bémol où éclatent les deux athlètes, le Ciel et l’Enfer, l’un par : Oui, tu me connais ! sur une septième diminuée, l’autre par son fa sublime :