Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/149

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idées, l’avenir de ses affections, sa seule et frêle espérance. Soutenue par un maternel courage, elle alla prendre le petit cor dont se servait son mari pour faire venir ses gens, ouvrit une fenêtre, et tira du cuivre des accents grêles qui se perdirent sur la vaste étendue des eaux, comme une bulle lancée dans les airs par un enfant. Elle comprit l’inutilité de cette plainte ignorée des hommes, et se mit à marcher à travers les appartements, en espérant que toutes les issues ne seraient pas fermées. Parvenue à la bibliothèque, elle chercha, mais en vain, s’il n’y existerait pas quelque passage secret, elle traversa la longue galerie des livres, atteignit la fenêtre la plus rapprochée de la cour d’honneur du château, fit de nouveau retentir les échos en sonnant du cor, et lutta sans succès avec la voix de l’ouragan. Dans son découragement, elle pensait à se confier à l’une de ses femmes, toutes créatures de son mari, lorsqu’en passant dans son oratoire elle vit que le comte avait fermé la porte qui conduisait à leurs appartements. Ce fut une horrible découverte. Tant de précautions prises pour l’isoler annonçaient le désir de procéder sans témoins à quelque terrible exécution. A mesure que la comtesse perdait tout espoir, les douleurs venaient l’assaillir plus vives, plus ardentes. Le pressentiment d’un meurtre possible, joint à la fatigue de ses efforts, lui enleva le reste de ses forces. Elle ressemblait au naufragé qui succombe, emporté par une dernière lame moins furieuse que toutes celles qu’il a vaincues. La douloureuse ivresse de l’enfantement ne lui permit plus de compter les heures. Au moment où elle se crut sur le point d’accoucher, seule, sans secours, et qu’à ses terreurs se joignit la crainte des accidents auxquels son inexpérience l’exposait, le comte arriva soudain sans qu’elle l’eût entendu venir. Cet homme se trouva là comme un démon réclamant, à l’expiration d’un pacte, l’âme qui lui a été vendue ; il gronda sourdement en voyant le visage de sa femme découvert ; mais après l’avoir assez adroitement masquée, il l’emporta dans ses bras et la déposa sur le lit de sa chambre.

L’effroi que cette apparition et cet enlèvement inspirèrent à la comtesse fit taire un moment ses douleurs, elle put jeter un regard furtif sur les acteurs de cette scène mystérieuse, et ne reconnut pas Bertrand qui s’était masqué aussi soigneusement que son maître. Après avoir allumé à la hâte quelques bougies dont la clarté se mêlait aux premiers rayons du soleil qui rougissait les